Nous tous, nous sommes de l’avis qu´à présent, dans le domaine du vin coexistent et en plus s’entremêlent deux façons de faire et de communiquer la culture du vin. L’Europe vit plongée dans le vin depuis des milliers d’années et cette réalité lui accorde une structure viticole complexe et une richesse œnologique propre. Toute la méditerranée est éclaboussée par les cultures millénaires. Dans cette zone, relativement petite, cohabitent des langues, des traditions, et des modes de vie à caractère propre. Auprès de cette expression multiculturelle on trouve un dénominateur commun : Le vin. Le vin, avec un énorme éventail de personnalités et de caractères autochtones. Le Portugal, comme un microcosme de la viticulture, la Grèce comme le berceau historique et culturel du vin, la France, l’Espagne, l’Italie et les influences que leur culture méditerranéenne a imposé à tout l´entourage septentrional, constitue un legs viticole d’une très grande richesse.

L’Amérique, l’Australie, l’Afrique du Sud et tout le reste des pays viticoles inclus dans le dit Nouveau Monde, bien qu’il y en ait qui jouissent de viticultures centenaires, sont arrivés de nos jours, à la scène vitivinicole mondiale avec un nouveau sang. Sans barrières, avec la force de la communication et commercialisation actuelles et munis d´une très haute technologie vitivinicole, ils sont capables de produire de grands vins de qualité. La présence du vin du Nouveau Monde dans le marché européen est de plus en plus remarquable. Ce fait, peut-être, peut inquiéter les viticulteurs européens, mais je crois que personne ne doit en avoir peur, au contraire, on doit produire l´énergie suffisante pour former un courant de travail et de réaction qui permettra de mettre sur le marché une façon de penser libre et progressiste, sans renoncer absolument à la richesse historique et culturelle que chaque région possède.

Peut-être que les Vieux et  Nouveau Mondes pourraient se mettre à travailler parallèlement, connaissant tout le deux les potentiels propres qu´ils possèdent. Travailler, en acceptant que la concurrence est nécessaire pour le progrès dans tout son sens et surtout dans le domaine du commerce. La culture du Vieux et du Nouveau Monde et leurs différences conceptuelles doivent toujours se respecter et s’adapter à d´autres occasions, pour pouvoir arriver à transmettre au consommateur les innombrables sensations que le vin peut offrir. D´ailleurs, on peut aussi se servir de la technologie viticole moderne dans le Vieux Continent, de même qu´il existe des viticultures à grande valeur oenologique et des terroirs dans le Nouveau Monde. Face a cette réalité de mélange et de globalisation viticole, je me permets, avec un grand respect, de rappeler à toutes les régions viticoles et surtout aux régions historiques et emblématiques, qu´en face de ce chemin conduisant à un marché plus universel, elles doivent  tenir compte de la particularité, la personnalité, la richesse historique ainsi que la biodiversité génétique de toute notre viticulture millénaire.

Erosion viticole

Il existe dans le monde, un nombre inconnu de variétés de raisin, peut-être plus de 10.000, qui ont été produites par un processus évolutif naturel de l´espèce Vitis Vinifera. La diversité et la richesse génotypique, dont on peut disposer à partir de ces variétés, avec de nombreux génotypes inconnus encore, est si vaste qu´il est presque impossible de l´évaluer et de la comptabiliser. Avec ces données, il est remarquable que la grande richesse viticole sur laquelle on compte n´a pas de fin, quoique la réalité soit bien différente. Nous sommes de plus un plus pauvres génétiquement dû à la grande pression que nous exerçons sur la masse végétative. Il y a beaucoup de facteurs, les uns naturels et les autres provoqués par les hommes, qui ont causé cet appauvrissement. Les grands événements et changements socio-économiques, l´impact de l´homme sur les écosystèmes, les catastrophes naturelles, les maladies, etc. que la nature et l´être humain ont déclenché sur notre Vitis Vinifera tout au long de l´histoire, sont les causes de cette situation. Aujourd’hui, tous les secteurs doivent être sensibles à la conservation des ressources dont on dispose encore.

Durant les 25 dernières années, la technique de la sélection clonale des variétés de Vitis Vinifera, plus répandue dans les région emblématiques, a produit une érosion génétique importante et grave qui a contribué à une diminution des ressources viticoles. Les principaux risques et dangers de cette érosion génétique sont les suivants :

·     La perte de quelques variétés et la multiplication exclusive du vignoble soumise à une sélection clonale peut générer une plus grande vulnérabilité en face des futurs agents pathogènes.

·     La perte de la biodiversité des portagreffes et des variétés de raisins

·     L´homogénéisation génétique des vignobles comporte une perte de personnalité et d’authenticité des vins élaborés.

·     La culture et la tradition viticoles de quelques régions historiques ont été, clairement, bouleversées par la plantation massive de variétés étrangères qui ont finalement supplante l´autochtone.

Evidemment, ce phénomène n´est pas un problème qui touche seulement la vigne. Toutes les manifestations de la nature subissent ces risques, comme il a été reflété a la Conférence Internationale sur la Biodiversité qui a eu lieu a Paris en Janvier 2005.

Biodiversité intervariétale et intravariétale

Les régions vitivinicoles jouissent de variétés propres. Leurs écosystèmes particuliers ont généré un binôme inséparable : terroir et variété. Ce sont des vins de haute qualité et de grande réputation dans le marché. Ces régions, à travers leurs viticulteurs, ont réalisé une conservation, une sélection et un développement naturel de leurs ressources viticoles. Pour des variétés développées dans leur milieu historique, telles que le Cabernet Sauvignon, Merlot, Chardonnay et beaucoup d´autres comme le Tempranillo espagnol, on trouve une grande diversité de biotypes qui se génèrent dans les écosystèmes naturels où ils poussent et qui présentent une différente phénotypique et génotypique remarquable. Ce que nous appelons biodiversité intravariétale. Il existe une autre richesse qu´on ne doit pas oublier, qui est la diversité variétale de l´espèce, ce qu´on appelle la biodiversité intervariétale. On compte sur des variétés qui, par leur rare présence et notoriété, pourraient être nommées variétés minoritaires.

Ce sont des variétés régionales ou locales avec des caractéristiques propres qui donnent une alternative oenologique et commerciale de grande valeur. Cette richesse intravariétale et intervariétale est le patrimoine des régions emblématiques qui jouissent des variétés autochtones parfaitement adaptées aux biosystèmes et écosystèmes où elles poussent depuis des centaines d´années. Cette réalité qui, d´abord semble avoir seulement une valeur scientifique de la conservation de la richesse génétique, est la responsable de la présence de beaucoup de « perles » oenologiques dont on jouit dans le monde vitivinicole. La récupération de ces variétés ainsi que la conservation de leur richesse biotypique est un autre but à atteindre. Cela nous permettra d´avoir une plus vaste alternative de production et de commerce avec laquelle on pourra faire face aux challenges internationaux qui viendront dans le futur.

Connaissances d’aujourd’hui et projections pour le futur

La détérioration génétique du vignoble et sa situation actuelle est due à la grande expansion qui s´est produite ces 20 dernières années. Les intérêts économiques et la recherche de grands rendements ont prévalu sur la qualité, la personnalité et le caractère propre des vins. Heureusement, cette situation a changé ces dernières années. La conscientisation généralisée de tous les secteurs engagés sur la qualité, y compris le consommateur, a rendu possible une nouvelle conception où l´on tient plus compte de la valeur qualitative que de la valeur quantitative. Peut-être que quelque producteurs ne sont pas encore conscients de la vraie détérioration génétique que cette multiplication massive de vignoble a causé. Les principaux pays producteurs, leurs viticulteurs et leurs techniciens sont déjà très sensibles à cette réalité et ils font déjà l´effort de garder la grande richesse de la biodiversité viticole.

C´est gratifiant de savoir que, l´ENTAV français, l´INIA espagnol, le CNR italien et beaucoup d´autres entités travaillent pour l´amélioration des collections de germoplasme et pour la récupération de variétés minoritaires, chacun de sa région d´influence. Ce travail permettra à l´avenir de garantir la disponibilité et la grande richesse viticole de notre Vitis Vinifera. Nous, les viticulteurs, qui vivons le vin et le monde du vin, nous devons choisir une alternative :

·     Créer un vin propre où la personnalité, le legs historique, la singularité variétale et en général le caractère exclusif, sont bien marqués dans le verre.

·     Elaborer un vin que répond aux besoins du marché, à ses tendances, à ses modes, aux différents goûts et aux habitudes du consommateur sans oublier de s´ajuster économiquement en couvrant les différentes segments du marché.

Il est évident qu´il est très difficile d’aménager les deux options et de les développer pour un même projet. C´est pour cela que chaque viticulteur doit choisir une ou l´autre de ces deux alternatives, et travailler pour offrir le maximum de qualité possible. Les vins avec une histoire et une diversité de valeurs oenologiques dans des régions vitivinicoles déterminées, ainsi que les vins actuels ajustés aux segments du marché sont deux réalités qui existent et qui malheureusement peuvent se déplacer vers un même but, influencées par une grande force convergente. On doit travailler pour conserver l’immense diversité des vignes et des vins dont on dispose et la projeter chez le consommateur, pour que le chemin de convergence dans le grand univers vitivinicole, n´arrive jamais à se joindre. Cette situation nous enrichira et procurera à tous les secteurs un futur plus sûr. Un futur avec des nuances, riche en alternatives, où les producteurs pourront compter sur la nature comme alliée inépuisable et pourront offrir au consommateur la possibilité de jouir, à travers le vin, du vaste monde des sens.

Mesdames et Messieurs, avant de me lancer dans l´exposition de mon sujet, je voudrais tout d´abord, très chaleureusement remercier Joan José Abo pour m´avoir proposé comme membre de cette Académie et remercier, bien sûr, tous ses membres pour m´avoir accepté dans cette prestigieuse entité. C´est avec beaucoup d’enthousiasme que j´ai accepté cette nomination et j´espère que ma petite contribution au monde du vin sera maintenant plus grande à travers l´Académie Internationale du Vin. Merci beaucoup à tous.