« Rôle du sol dans l’expression du terroir »
Si les agronomes ont pu démontrer le rôle de la climatologie et de la topographie sur l’expression du terroir, ils n’ont jamais apporté que des explications scientifiques très partielles sur le rôle du sol. Cela est lié au fait qu’ils ont abordé le sol sur le plan uniquement physico-chimique en ignorant sa dimension biologique. La faune est responsable de la porosité du sol, donc de l’entrée de l’air et de l’eau en profondeur et la microflore est responsable de la formation des éléments négatifs assimilables par les plantes, comme les nitrates : NO3-) -, les phosphates: PO2-/4 ou les sulfates: S02-/4.
Ces éléments, qui sont des oxydes, ne peuvent se former que si le sol est bien aéré par la faune, et cette dernière ne s’enfonce profondément dans le sol que si les racines s’y enfoncent. On comprend alors qu’en détruisant la faune du sol avec les pesticides, en compactant les sols avec des machines de plus en plus lourdes, on bloque l’aération du sol et l’activité microbienne. Les racines de la vigne remontent vers la surface pour respirer et nous remplaçons le travail des microbes du sol par les mêmes engrais.
On tend alors vers une uniformisation des vins et on passe lentement d’un vin de terroir à un vin de cépage. En négligeant la biologie des sols des terroirs, la profession viticole a standardisé des vins, les rendant faciles à copier et les exposant du même coup à la concurrence étrangère. Depuis quatre ans, notre Laboratoire s’attache à définir des caractéristiques physiques, chimiques et biologiques des sols de terrains viticoles et en particulier ceux de Bourgogne. En effet, définir un rôle dans la typicité permettrait de ne pas limiter celle-ci au climat, ni la topographie, au cépage et ni la vinification. Ces quatre critères sont relativement faciles à copier par d’autres pays. A l’inverse, la diversité des sols et les relations fondamentales qui unissent le sol, les microbes et les plantes atteignent un tel degré de complexité qu’ils sont impossibles à copier et assurent donc aux vignerons l’originalité de leur vin.
– Définir les critères physiques, chimiques et biologiques les plus importants dans la définition d’un sol de terroir.
– Développer des pratiques culturales respectueuses de ces caractéristiques.
Pour illustrer notre propos, nous avons choisi la région Bourgogne, en raison de son monocépage et de son unité géologique (calcaire du Jurassique). En effet, dans celle région, la différence de goût observée entre deux vins de même appellation ne peut-être due qu’au sol surtout lorsque les deux vins sont vinifiés par le même vigneron.
Caractéristiques physiques des sols des terroirs
La texture
Les approches classiques granulométriques n’ont jamais servi à caractériser un terroir. En Bourgogne, par exemple, deux clos peuvent présenter la même granulométrie et produire des vins différents: Latricière et Chapelle Chambertin par exemple. Par contre, les sols possèdent une caractéristique remarquable: la surface spécifique de leurs argiles. C’est à dire la surface totale déployée par les feuillets d’un gramme d’argile. Les études que nous avons effectuées sur les Côtes de Nuits et Côtes de Beaune semblent indiquer trois choses:
– Le sol de chaque cru se caractérise par une surface spécifique qui lui est propre.
– Les sols portant les vins rouges contiennent des argiles dont la surface spécifique est en moyenne plus élevée que celle des vins blancs.
– Dans une même appellation de vins blancs, les vins sont d’autant plus fins que les sols contiennent des argiles à faible surface spécifique.
Sur la colline de Puligny-Montrachet on observe par exemple:
– AOC Village: les Houlières : 375 m2/g
– Premier Cru : Clavaillon : 233 m2/g
– Grand Cru : Le Montrachet: 176 m2/g
Ces premiers résultats se confirment sur d’autres régions françaises. La plus faible surface spécifique qu’il nous a été donné de mesurer en vignoble est celle de la coulée de Serrant avec 57 m2/g et la plus élevée, celle de Richebourg, avec 550 m2/g. Comme il existe une relation linéaire entre la surface spécifique d’une argile et sa capacité d’échange en cations, on peut émettre comme hypothèse que chaque type d’argile nourrit de façon spécifique la vigne et qu’il y a donc un premier niveau de typicité, due au sol, dans les terroirs, celui de la surface spécifique des argiles de leur complexe absorbant.
La structure
Les grands terroirs se caractérisent par une forte porosité de profondeur. Ces porosités peuvent être d’Origine physique comme c’est le cas pour la porosité de surface des graves ou galets alluvionnaires du Bordelais, des Côtes du Rhône ou du Val de Loire ou pour la porosité profonde des calcaires fissurés de Bourgogne et d’Alsace. Mais ces porosités sont aussi d’origine biologique (galeries et boulettes fécales de la faune du sol) comme c’est le cas pour la porosité profonde des argiles du Bordelais ou du Val de Loire et de la porosité biologique des calcaires du sous-sol de Bourgogne ou de la craie de Champagne ainsi que pour la porosité de surface des sols argilo-calcaires de Bourgogne.
Ces fortes porosités de surface et de profondeur permettent un ressuyage rapide des sols après la pluie, donc un réchauffement rapide du sol de surface nécessaire à la bonne maturation des raisins et une bonne oxygénation des racines profondes. L’écoulement de l’eau en profondeur permet et une alimentation hydrique régulière de la vigne pendant l’été. En arrêtant le travail du sol et en tuant la faune du sol par des excès de pesticides, les viticulteurs empêchent l’écoulement de l’eau en profondeur, favorisent sa circulation superficielle et augmentent l’érosion. De l’oxygène ne pouvant plus descendre dans le sol, les enracinements deviennent superficiels.
Caractéristiques chimiques des terroirs
Aucune teneur en élément majeur assimilable n’a pu être corrélée avec une typicité de terroir. Par contre, des teneurs élevées en certains oligo-éléments assimilables semblent caractériser certains terroirs: teneurs élevées en manganèse sur la Coulée de Serrant, Le Morgon et le Montrachet. Cet oligo-élément peut même être dosable dans les vins. Ces oligo-éléments du terroir ne peuvent devenir assimilables que si la microflore du sol est assez active pour les chélater. Dans le cas d’apports excessifs de pesticides on peut bloquer la chélation biologique de l’oligo-élément. Une autre caractéristique intéressante est le type de calcaire des sols.
Nos observations microscopiques montrent que selon la circulation de l’eau, il existe dans les sols des calcaires provenant de la recarbonatation microbienne. C’est sur les premiers que sont plantés les rouges et sur les seconds les blancs. Or dans les sols riches en calcaire bactérien il y a très peu de fer ferrique libre et l’on sait que cet élément est nécessaire à la synthèse des anthocyanes.
Caractéristiques biologiques des terroirs
Elles se situent à trois niveaux, celui des racines, celui de la faune du sol et celui des microbes.
Caractéristiques des enracinements
Tous les grands terroirs que nous avons étudiés présentaient des enracinements profonds actuels ou anciens. Lorsque l’enracinement est profond le goût de terroir est plus fort que celui du cépage. L’usage qui s’est répandu après guerre de choisir des porte-greffes productifs, exploitant bien les engrais mais avec des enracinements superficiels comme le SO4/2- a favorisé le goût de cépage par rapport à celui du terroir. On retrouve le même problème dans les sols profonds de vallées (Hérault, Aude, Rhin, sols au-dessous de la route nationale sur la Côte d’Or) qui, étant trop nutritifs en surface et mal aérés en profondeur, favorisent les enracinements superficiels et les goûts de cépages. Plus la racine est profonde, plus elle est loin des engrais, plus elle extrait les éléments nutritifs du terroir et plus elle assure une alimentation hydrique régulière.
Caractéristiques de la faune du sol
Dans les grands crus nous observons toujours, au contact de la roche mère ou des argiles de profondeur, une forte nécromasse racinaire servant d’aliment à la faune endogée (acariens, collemboles et vers de terre). Cette multiplication de la faune en profondeur s’accompagne d’une forte porosité biologique (galeries), et d’une augmentation de l’activité biologique contre la roche. Celte activité permet la formation d’éléments assimilables par la vigne et propres au terroir.
Caractéristiques microbiologiques
Nos observations microscopiques montrent que la microflore dominante des sols de vignes n’est pas toujours la même. Certains sols sont dominés par les champignons d’autres par les bactéries. Certains groupes bactériens peuvent être très abondants comme les sidérobactéries dans les sols du Bordelais ou les bactéries du cycle du calcin dans les sols des Chablis ou de Champagne. Nos mesures d’activité microbienne des sols de vignes montrent que l’activité est liée à la surface spécifique des argiles, au type et à la teneur en carbonate de calcium, à la quantité et à la qualité des humus du sol. D’une façon générale, les pratiques actuelles des vignes aboutissent à un effondrement de l’activité biologique des sols des terroirs. Dans certains sols de vignes nous avons observé des activités biologiques inférieures à celles des sols du Sahara. A l’inverse dans les Domaines qui se sont convertis à la viticulture biologique, on observe une remontée de l’activité biologique et une amélioration de la descente racinaire. C’est dans les terroirs cultivés en biodynamie que nous observons les activités biologiques des sols de profondeur les meilleures. Ceci se traduit par des teneurs plus élevées en éléments assimilables du sous-sol.
Conclusion
Celle rapide présentation du rôle du sol dans la typicité du terroir met en évidence que ce dernier n’est pas un mythe, contrairement à de nombreuses affirmations en provenance du Nouveau monde. Cette intervention du sol dans la typicité d’un terroir se fait au niveau physique de sol à travers la C.E.C. qui fournit les cations à la racine de vigne. Celle fourniture est sous la dépendance directe de la surface spécifique des argiles du terroir. Elle se fait aussi à travers la structure superficielle et profonde du sol qui permet une bonne circulation de l’oxygène et de l’eau en profondeur vers les racines. Cette action du sol sur le terroir se traduit aussi à travers la biologie du sol car ce sont les microbes du terroir qui produisent les oxydes assimilés par les plantes. Ces oxydes ne peuvent bien sûr se former que dans un sol bien aéré où l’aération est faite par la faune. C’est en intégrant et en appliquant les nouvelles connaissances que nous avons acquises sur la biologie des sols que nous pouvons améliorer notre compréhension des terroirs et développer des pratiques viticoles capables de les respecter. Ce n’est plus la vinification qui est le facteur limitant de l’amélioration de la qualité des vins mais le sol et c’est en le respectant que nous valorisons le mieux les terroirs. « Moins de chimie et plus de vie dans les sols de vigne» doit être le leitmotiv du viticulteur de demain.