« Real Wine » selon Patrick Mathews, les vins nobles selon l’AIV »

Patrick Mathews, un auteur Anglais, a écrit un ouvrage sous le titre «Real Wine». Ce livre passionnant relève les vraies valeurs concernant les terroirs, capables de produire des vins d’origine, des vrais vins ou des vins nobles selon les convictions de l’A.I.V. Je citerai souvent l’auteur. Il y a deux semaines, j’ai visité pour la troisième fois un merveilleux domaine en Afrique du Sud, produisant deux vins de pureté exemplaire (chardonnay et pinot noir). Le propriétaire, Henry Hamilton Russel, a cherché et trouvé un terroir en 1975 qui s’est avéré exceptionnel pour ces deux cépages. Pour mieux protéger le terroir il se prépare a convertir le domaine en « organique », ce qui est rare là-bas: tout est en non culture. Sur l’étiquette est simplement marqué WO (Wine of Origin) Walker Bay, le nom du domaine, le cépage et le millésime; c’est tout et cela suffit. Bouchard s’est installé juste à coté et d’autres ont suivi et suivront. Cela s’est fait dans un passé lointain et cela se fera dans l’avenir. Avec un climat en dérive, nous ne devons pas nous étonner des nouvelles découvertes de terroirs potentiels dans l’avenir, parce que c’est le climat qui permet au sol de s’exprimer.

Bob Haas, notre président, a mis trois ans pour découvrir l’endroit recherché. Notre confrère Jos Jensen a mis deux ans, mais lui, il dormait dans sa Volkswagen, ce qui n’a pas du tout arrangé son mariage, en testant les sols avec des gouttes d’acide sulfurique pour découvrir le calcaire. Les Européens ont des ancêtres qui ont fait ce travail longtemps avant et pour eux. La viticulture ancienne provient des domaines agricoles mixtes où les vignes étaient plantées sur des pentes inaptes à d’autres cultures, avec un effet de drainage naturel dans un sol pauvre. Après, ceux qui voulaient investir dans des vignobles cherchaient des parcelles larges et plates, aptes à faire fonctionner les machines agricoles modernes. Un climat de production sec et chaud augmente les rendements et réduit les risques de maladies. Personne ne se souciait des divers types de sol: ce n’est que de la merde, selon les mots d’un Californien, Bill Jykell, et depuis souvent repris par beaucoup d’Australiens.

UNE CULTURE DE TERROIR – UNE CULTURE DES VINS D’ORIGINE

La dite indifférence vis a vis de la notion du terroir ne se limite pas au cultivateurs de raisins: les hydro cultures forment la branche de l’agriculture sous serre avec des récoltes provenant des sols poreux, inertes et exclusivement alimentés de solutions chimiques. La culture viticole agro-industrielle moderne ressemble à ce genre d’hydro culture avec ses vignes alimentées par le système de goutte à goutte en provenance d’une tuyauterie souterraine. Cette approche n’est pas appréciée par les écologistes, qui accusent les dommages portés aux sols du monde par les techniques modernes de l’agriculture. Depuis, les différences dues aux sols, les effets du terroir, sont étudiés et reconnus par un nombre croissant de personnes intéressées en la matière. Choisir entre la culture traditionnelle, la non culture, la lutte raisonnée et les cultures bio et biodynamiques implique une grande responsabilité de la part du vigneron.

On ne sera jamais d’accord et l’affaire se complique en introduisant les O.G.M. avec des croisements entre origines végétales et origines animales dans le secteur des levures cultivées par l’industrie. On estime, selon un dépliant sur des vins organiques, que 75% des herbicides et presque 50% des pesticides agraires mondialement appliqués sont utilisés dans les vignobles. L’article, paru en avril 1988 dans le Sunday Times, sur les conditions de travail des enfants dans l’industrie fruitière et vinicole au Chili: « les enfants payent le prix des vins chiliens bon marché », a probablement poussé certains très grands producteurs à s’intéresser à la culture organique.

Mais comment se protéger des fléaux des maladies, des champignons, des insectes ravageants, des virus etc. sans faire un appel croissant aux produits chimiques, toxiques, cancérogènes? Nicolas Joly, Claude Bourguignon, Anne-Claude Leflaive, Jean-Claude Rateau, Francois Bouchet, Domique Laton, Jacques Lardière, Christine et Nikolaus Saahs (Nikolaihof en Autriche), Jean-Gérard et Jacqueline Guillot en Maconnais, Aubert de Villaine, Alan Chadwick, Fetzer Vineyards, Noel Pinguet, John Williams de Frog’s Leap, il y en a des milliers d’autres, non cités, qui ont refusé de continuer à travailler à l’ancienne, ne voulant plus voir augmenter les doses de produits chimiques, écœurés par la neutralité de leurs sols, leurs terroirs.

Ils ont trouvé les remèdes contre ces fléaux et se sont profondément intéressés aux travaux de Rudolf Steiner et au calendrier de Maria Thun pour trouver une réponse et une solution. «L’A.O.C., c’est la fusion entre un terroir (sol, climat) une ou plusieurs variétés végétales et une tradition, un savoir faire de l’homme.» Cette belle phrase de monsieur René RENOU ici présent, me revient à l’esprit quand je vois dans la même appellation des parcelles voisines: l’une travaillée, labourée, rognée, un rang enherbée avec une verdure contrôlée, l’autre rang désherbé d’une façon manuelle ou mécanique avec un sol multicolore que l’on peut humer, sentir et y découvrir des vers, du mouvement, de la vie. Les feuilles paraissent plus saines, plus vertes, plus vitales. Les pieds de vignes ne se ressemblent pas comme des pièces identiques.

Peut-on espérer et croire que le terroir (sol + climat) garde ces caractéristiques propres en travaillant ainsi?

L’autre montre une surface bétonnée, avec des traces d’herbes mortes, décolorées, asphyxiées, asséchées. De nombreux traitements contre les insectes, les parasites, les champignons, les pourritures ont enlevé l’éclat, la vitalité, la verdeur des feuilles. l, 2, voir 3 générations de vignerons successives ont appliqué des milliers de fois des apports d’azote, de potasse, de phosphate, de bore, de magnésium, de cuivre, de soufre. Dans un souci permanent de protéger leur vignoble contre ces fléaux et aussi pour se faciliter le travail, ils ont désinfecté leurs sols avant de planter des clones sélectionnés pour leur productivité, leur résistance, leur capacité d’éviter des problèmes.

Patrick Mathews fait mention de l’alerte de Michel Bettane : la plupart des clones de Chardonnay avec leur production exagérée de jus et leur manque d’arômes, ne sont pas faits pour faire des grands vins mais pour protéger les vignerons contre les menaces nuisibles. Leur sol est devenu inerte, neutre, mort avec des odeurs de soufre, de poussière, qui rappellent les installations de craquage chimique. On est très loin d’une garantie de l’environnement. Finalement quand on sent, on hume, on « déguste » les deux sols de ces deux parcelles voisines, dans cette même appellation, on constate des différences frappantes.

Patrick Mathews fait mention de deux discours consécutifs de Claude Bourguignon devant les membres de l’A.I.V., des séminaires organisés par le bureau de l’ A.I.V. et par son Chancelier en particulier. Grâce aux Symposiums de l’A.I.V., nous connaissons un peu l’étendue et l’immense valeur des travaux des Bourguignon, mais il est amusant de lire que: « certains importants propriétaires sollicitent les Bourguignon parce qu’ils ont découvert que l’agriculture chimique est simplement trop chère ». Un exemple convaincant de Bourguignon que les sols morts sont plus onéreux à travailler : les sols arables de l’Europe demandent actuellement dix fois plus d’apport en énergie que tout de suite après la deuxième guerre mondiale.

Doit-on craindre que le terroir (sol + climat) puisse perdre ses caractéristiques propres en travaillant ainsi? Quand les cônes mono-types sont plantés dans des terroirs inertes, peut-on espérer trouver à la fin cette fameuse typicité nécessaire à l’identité d’une origine, d’un vin noble, d’un vrai vin dans les bouteilles?

Le grand défi est de déterminer l’origine et de la garantir ; ainsi on aborde tout naturellement les législations sur les appellations d’origine. L’A.O.C. c’est avant tout, ou cela devrait être, une garantie d’origine avec une législation juste, simple, applicable et contrôlable pour éviter la falsification et pour garantir que le consommateur reçoit ce qu’il croit avoir acheté. Si l’A.I.V. désire encourager l’application mondiale d’un système d’A.O.C., il faut développer un modèle basé sur l’harmonisation et la simplification des différentes législations en rayant toutes les mesures qui ont été introduites pour raisons commerciales ou protectrices et unilatérales. La situation actuelle diffère d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, d’une appellation à l’autre. Pour illustrer cela, permettez-moi de parler de Saint-Emilion en vous racontant une petite histoire vécue récemment: Un ami m’appelle : il se trouve à table avec quelques amis chasseurs. Ils dégustent et boivent un Saint-Emilion, un Grand Cru Classé, et il discutent sur le phénomène de la classification.

Il m’appelle pour que je lui explique, parce que eux, ils ont du mal à comprendre qu’au sein de l’appellation de Saint-Emilion, ils ont le choix entre:

– 2 Premiers Grands Crus Classés A.

– 10 Premiers Grands Crus Classés B une fois neuf, une fois dix ou plus.

– Un grand nombre variable, actuellement 54, de Grands Crus Classés, qu’ils croyaient divisés en classes numériques (l,2,3,4,5) comme le classement de 1855, qui n’est corrigé bizarrement qu’une seule fois et cela pour un seul vin en 1973.

-Des centaines de Saint-Emilion avec la mention Grands Crus, incorporés dans l’appellation contrôlée, qu’ils peuvent l’être une année et l’année suivante non.

– Des centaines de Saint-Emilion sans la mention Grand Cru. Et il se demandent pourquoi Grand Cru est classé en dessous de Premier Cru Classé, parce qu’ils se rappellent vaguement qu’en Bourgogne les Grands Crus sont bien plus chers et bien plus rares que les Premiers Crus et que le nom Saint-Emilion est emprunté par des communes voisines comme Saint-Georges, Puisseguin, Lussac, Montagne.

Comment leur expliquer que certaines de ces communes se trouvent à 9 kilomètres de la ville de Saint-Emilion et que, quelques pas plus loin, on peut aussi découvrir des vins excellents, semblables, mais que l’appellation change soudain en Côtes de Castillon? Peut-on simplifier sans massacrer la diversité de ce patrimoine fabuleux? La qualité et la typicité des produits, portant le nom de cette origine, seront toujours aussi variables que les talents, les convictions, les façons de travailler, les moyens financiers et les goûts des hommes qui ont le privilège d’œuvrer à l’intérieur de cette délimitation. Garantir l’origine parait donc réalisable, garantir la qualité, la typicité parait une mission très difficile, voir impossible. Ce n’est pas pour rien que les amateurs de bons vins se laissent beaucoup plus facilement convaincre par des notes élogieuses des journalistes/dégustateurs comme Parker, Decanter, Bettane-Dessauve, Tanzer et autres.

Côtes de Provence est une SEULE appellation avec une multitude de terroirs dont la qualité offre du pire, par majorité hélas, au meilleur. Comment voulez-vous que les amateurs, disposant d’un bon palais, fassent confiance à cette Appellation Contrôlée Côtes de Provence? Rioja est une seule appellation avec trois secteurs que couvrent 50.732 hectares. Sur 53 appellations d’Origine en Espagne, c’est la seule appellation « calificada » dans un grand pays de production de vin. Calificada veut dire important, en tête, qualifié, diplôme: une seule sur 53, on se poserait des questions sur les 52 autres …. Sous l’appellation Rioja on peut trouver sur le marché des vins dilués, des vins surboisés, des vins francs et honorables et des très grands vins. On est très loin d’une garantie de la qualité et de la typicité avec une telle divergence. On est très loin d’une protection des consommateurs.

Comment contrôler et garantir dans une telle diversité, voir disparité?

Si on veut maîtriser, contrôler et garantir l’origine et la qualité, la réponse évidente serait de renforcer les règles et les limitations, d’imposer encore plus des modes de travail, d’entretien de la vigne, la façon de vendanger, de traiter les raisins, de vinifier et de conserver. Bref, une législation compliquée de répression. Des doses indigérables de « Bruxelles », voir le malheur des fromages, à imposer à des vignerons de talent, conscients et soucieux de la valeur de leur terroir, impliqueraient une frustration de leur gestion, une limitation inacceptable de leur liberté de créateur. Les mesures pour obliger les errants à rester sur le droit chemin, qui pourraient les obliger à produire correctement selon les normes de l’ A.O.C., muselleraient les conducteurs des locomotives de l’appellation.

Doit-on opter pour une grande liberté ou faut-il placer des détecteurs de radar à chaque bout des rangs de vigiles? Le bon vigneron demande la simplicité, la liberté et la faisabilité. Ainsi il pourra travailler sereinement avec des résultats qui en premier lieu, le satisferont personnellement, en deuxième lieu, satisferont le consommateur et en troisième lieu le législateur. La qualité le protègera et il servira l’appellation autant qu’il en profitera; ce sont plutôt les moins bons qui sont sauvés par la valeur commerciale de l’appellation. Le mauvais vigneron, même sous une législation compliquée et répressive, trouvera soit la sortie pour se faire pardonner la mauvaise qualité, soit il fera faillite. Voilà quelques questions qui pourraient servir à animer un débat sur la question.