« Le traitement du vin noble dans les restaurants nobles »
Les producteurs de vin noble s’occupent d’un héritage culturel de l’humanité. Qu’en font les restaurateurs, surtout les grands? Après plus de trois décennies d’expériences dans la gastronomie, je dois dire que des fautes qui compromettent la qualité des vins sont commises dans trop de restaurants de haute classe même par des sommeliers et sommelières bien formés. Une raison essentielle est qu’il n’y a pas du tout assez de ces spécialistes. Dans beaucoup de restaurants, dans la plupart, il n’ y a qu’une seule personne responsable du service de vin. Il lui faudrait des collaborateurs avertis dans le personnel. Mon expérience m’a montré que c’est rarement le cas. Le vin noble n’a plus du tout l’air noble quand il est servi à une mauvaise température. Si on ne connait pas la bonne, correcte, meilleure, on trouve peut-être la mauvaise comme normale. Et, par habitude, des gens peuvent même la trouver agréable. Mais en vérité c’est un plaisir diminué.
Dans beaucoup de restaurants les vins blancs sont logés passablement froid. Mais les rouges, souvent, sortent des caves trop chaudes. Un vin trop froid, c’est un défaut mais qu’on peut corriger facilement. Le froid fait disparaitre les arômes, les nuances agréables pour lesquelles le client à payé. Normalement il suffit de laisser la bouteille à la température de la salle pour qu’ils réapparaissent. La chaleur ne disparait pas aussi vite. En faisant apparaitre divers constituants du vin qui sont désagréables elle abîme son goût. Quand j’ai commencé à publier des critiques de restaurants, il y a 30 ans, j’ai pris l’habitude de m’armer d’un thermomètre à vin. Les rigolades que cela provoquait cessaient vite, car les patrons et les sommeliers réalisaient grâce à mon thermomètre, à quel point ils se trompaient sur la température de leurs vins. Le thermomètre était ma meilleure arme contre l’affirmation, que j’entendais souvent, selon laquelle le rouge de l’établissement aurait correctement 18 degrés celsius tandis que c’étaient plutôt 24. Pareillement avec les blancs qui étaient souvent à 14 à 16 au lieu du maximum correct de 10.
En matière de mauvais traitement des vins je peux établir une hiérarchie. Le plus répandu c’est le vin trop chaud. Ensuite la mauvaise décantation ou même l’oubli de décanter. Ensuite le vin trop froid, d’ailleurs dans la plupart des cas, parce que laissé trop longtemps dans le seau à glace. Finalement, le vin dans le mauvais verre. La grande restauration est très conservatrice. Alors je ne peux pas espérer que les fautes que j’ai constatées il y a de nombreuses années dans un établissement donné n’y sont pas toujours commises. Commises dans des restaurants allemands, français, italiens, anglais, ibériques, belges et hollandais. Pas du tout dans ceux de mauvaise réputation. Au contraire – normalement on y mangeait fort bien. En fouillant mes notes j’ai compté dans cette catégorie de « maltraiteurs » du vin noble 25 restaurants avec une étoile du guide « Michelin », 20 avec deux et, j’arrivais à peine à le croire, 14 avec trois étoiles. Heureusement je connais beaucoup de restaurants où les vins sont traités correctement, et avec eux les clients. Mais ceux-ci ne sont pas mon sujet ici. La liste des défauts que je vais continuer est née, comme je l’ai dit, dans trop de bons restaurants pour ne pas sonner l’alarme. Une soixantaine!
Ma première expérience alarmante date de presque 30 ans. En mai/juin 1973 à Francfort j’ai visité plusieurs fois une « Weinstube », nommée « Heyland », une étoile « Michelin ». Là, on mangeait très mal. Mais bien pire était le Bordeaux rouge à 28 degrés. Le garçon affirmait même qu’ il le préfèrerait à 30! Peu de temps après, à Paris, un établissement à trois étoiles. Il n’y avait pas plus illustre que le « Maxim’s ». Là, le 19 novembre 1973, j’ai participé au diner annuel de gala de « Traditions & Qualité », le club des chefs 3 étoiles et quelques autres presque aussi bons. La crème de la crème pour les repas et le vin, sûrement. La boisson principale était du champagne, et la plupart de vins était sans reproches. Mais Chambolle-Musigny, déjà assez vénérable, avait 23 degrés, et beaucoup de dépôt. En 1980, dans la très fameuse « Ente » à Wiesbaden avec son étoile, c’était un blanc qui était beaucoup trop chaud. une Auslese servie avec une mousse de foie gras, à 26 degrés, plus fatiguant qu’agréable. Alors, dans le seau! Là le garçon l’a oublié, et en fin de compte le vin était devenu trop froid avec à peine 7 degrés. Quelques quatre semaines après j’étais pour la première fois à Chagny en Bourgogne. « Lameloise », 3 étoiles.
Le Champagne à 11 degrés était loin d’être parfait. Plus au sud, sur la Méditerranée, « L’Oasis » à la Napoule, 3 étoiles: du Chardonnay tiède. Bientôt après, un 3-étoiles à Paris: Le « Vivarois ». Les blancs: très bien. Mais le 1969 Morey St. Denis à 26 degrés incroyablement et impardonnablement chaud. Quand j’ai demandé au sommelier de le mettre au frais il était entièrement d’accord: Oui, ce vin supporterait ça aussi. Quand je lui ai montré la vraie température sur mon thermomètre il s’est enfin déclaré de mon avis, que le vin était vraiment trop chaud. Un sommelier trois étoiles… D’autres 3-étoiles : Georges Blanc à Vorulas: Montrachet à 16 degrés. Dans le Sud-Est, Roger Vergé au « Moulin de Mougins ». Le sommelier nous ayant promis de laisser notre Bordeaux 1976 Lascombes, dans la cave jusqu’au dernier moment, il nous l’a apporté finalement à 20 degrés. Trop chauds, également, la même année, les rouges à « Inverlochy Castle » en Ecosse, hôtel-restaurant célèbre pour son trésor des vins.
A Orléans a longtemps existé un restaurant 2 étoiles, la « Crémaillère ». De ma visite en septembre 1986 j’ai gardé en mémoire un seul épisode. « Plutôt tiède », m’a dit le garçon quand il m’a apporté mon Pouilly Fumé. Il avait raison. 2 étoiles ornaient également, en Allemagne, la « Traube Tonbach ». En juillet 86, un été particulièrement brûlant, on y servait du rosé beaucoup trop chaud et les rouges pareillement avec quelques degrés de trop. Pendant VINEXPO 1991 j’ai mangé à Bordeaux à la « Chamade ». Elle avait, elle aussi, une étoile « Michelin » que je ne trouvais pas méritée. J’avais invité une dame de la SOPEXA, une spécialiste. Elle aussi, comme moi, a jugé le vin blanc beaucoup trop chaud, le rouge un peu. Changement de décor: Angleterre, 1992. « L’Ortolan » à Reading, français, 2 étoiles. Pour les plats c’était notre meilleure expérience de ce tour à travers des établissements réputés. Or, après un merveilleux 1988 Chassagne Montrachet Grand Cru les Vergers à température parfaite, le Figeac 1981 que le sommelier nous avait promis à 16 jusqu’à 18 degrés avait plutôt 20, 2l.
En 1996 la série devrait continuer. D’abord au Périgord, près des grottes célèbres avec leurs peintures rupestres, aux Eyzies-de-Tayac à l’hôtel du « Centenaire », restaurant 2 étoiles: Du champagne chaud à l’apéritif Quelques semaines plus tard, au « Château des Reynats, Restaurant l’Oison » près de Périgueux, 1 étoile, Riesling Falier, cuvée Théo 1994: La première bouteille trop chaude, la deuxième encore plus. Le rouge était moins catastrophique, mais également trop chaud. L’année suivante voici ce qui m’est arrivé en Belgique, dans un établissement 3 étoiles à Bruges, le « Karmeliet ». A notre commande modeste d’un Pouilly Fumé de Ladoucette le sommelier remarqua: « Classique, mais bon. » Mais le vin était si chaud que même dans un seau rempli de glaçons, il n’est descendu à la température correcte que quand la bouteille était presque vide. Toujours en Belgique, dans la très recommandable hostellerie « Lafarque » à Pépinster, 2 étoiles: Ladoucette aurait été très satisfait de la bonne température de son Pouilly. Par contre Monsieur Guigal n’aurait pas apprécié son Côte Rôtie, qui était chaud. Les rouges étaient généralement trop chauds, tout en sortant – disait-on – de la cave.
Italie. 3 étoiles « Don Alfonso » à Sant’ Agata sui due Golfi, non loin de Sorrento, en face de Capri. La température du rouge dépassait largement les 20 degrés. La même chose à Turin au « Balbo », une étoile. Deux mois plus tard en Bourgogne, à Saint-Rémy près de Chalon-sur-Saône. Au « Moulin de Martorey », une étoile, le rouge était correct. Cela nous surprit, car le blanc avant, Château de Fussy, avait été trop chaud, et le garçon n’arrivait pas à mettre plus de glaçons dans le seau, qui en manquait. Fin de la même année, en Hollande. « Inter Scaldes » à Kruillingen, 2 étoiles. Le sommelier, visiblement surmené, laissait constamment ouverte la porte de la grande chambre de climatisation qu’on pouvait voir de notre table. Alors nous n’étions pas autrement surpris par la chaleur de nos vins blancs, surtout du Condrieu de Guigal. Comme vous voyez, nous nous approchons du présent. Dans une maison des plus réputées de Berlin, « Der Hugenotte » à l’ hôtel Intercontinental, 1 étoile, nous entendions avec de l’étonnement l’information fière du sommelier que l’armoire des vins rouges était réglé à 20 degrés – trop chaud donc! – et en arrivant dans la salle le vin aurait 22 degrés et serait correct.
3 étoiles en Angleterre: « Waterside Inn », Bray-on-Thames. Le Madiran, 1994 Montus, que nous avions commandé expressément à la température de la cave est arrivé chambré. A Berlin, le « Vivaldi » au Ritz-Carlton-Schlosshotel, Grunewald, se présente comme un des restaurants les plus nobles de la capitale. Mais là je devais renvoyer 3 fois mon rouge, Château Beaucastel, pour le refroidir. Je précisais bien sûr qu’il fallait un seau avec beaucoup d’eau et très peu de glace. 3 fois le vin revenait aussi chaud qu’avant. La 4ème fois, par contre, la carafe était couverte de moisissure et le vin glacial. On l’avait mis dans le freezer ! Quelques jours auparavant à Munich, ristorante « Aquarello », 1 étoile: le rouge trop chaud. Nous avons mis la bouteille dans le seau qui avait servi auparavant le blanc. Nouvelle déception de ce genre à Joigny sur Yonne, la « Côte St. Jacques », 3 étoiles encore en 2000, Tous les vins étaient trop chauds, et voir le sommelier décanter même le Condrieu de Guigal n’était pas une consolation suffisante. Fin de l’été 2001, en Allemagne, Restaurant « Windmühle » près de Bad Oeynhausen, 2 étoiles, Chassagne Montrachet, 1er Cru Morgeaut, quelques 18 degrés. Le maître d’hôtel qui officiait aussi comme sommelier, à ma plainte: « Plus frais, son arome disparaîtrait. » Château Beaucastel, commandé à la température de la cave, était presque aussi chaud que la salle de restaurant. Quelques semaines plus tard, la « Résidence » à Kettwig, 2 étoiles: Cognac à 22 degrés. Pire encore, à Paris au « 59 Poincaré », restaurant inspiré et surveillé par Alain Ducasse: Cognac à 27 degrés !!
Une autre source de défauts pour les vins au restaurant est la répugnance très répandue à décanter les rouges, pourtant nécessaire pour les aérer ou, plus important, pour les libérer de leur dépôt. Ceci, il faut savoir le faire, mais ce n’est pas, apparemment, à la portée de tout le monde, La première fois que je m’en étonnais c’était chez « Lameloise », 3 étoiles. La bouteille était portée à notre table avec beaucoup de circonspection, mais en la mettant dans la corbeille, le garçon l’a secouée fortement. Ensuite il a versé tout le contenu avec aplomb dans la carafe, dépôt inclus, Nous le retrouvions, très évidemment, dans nos verres. A Paris au « Vivarois », 3 étoiles, le sommelier a agité notre Hermitage 1969 dans son panier verseur tellement que nous pouvions observer le dépôt dès notre premier verre.
« La Tour d’Argent », 3 étoiles encore plus célèbre, février/mars 1981. Le sommelier a amené le rouge prudemment dans sa corbeille. Mais il n’a pas pu maintenir sa main assez calme jusqu’a la décantation, et nos verres ont été gratifiés de beaucoup de dépôt. Chez « Lasserre », également 3 étoiles, le garçon a apporté notre Pavie 1971 dans un panier mais l’a remué copieusement. Au goûter il était en plus trop chaud. Je lui ai demandé, alors, de nous en donner un autre, plus frais, de la cave si possible, et sans dépôt. De retour avec la nouvelle bouteille il a dit de très mauvaise humeur: « 2 degrés de moins » et a mis le panier avec la bouteille sur la table avec un choc tel que nous ne pouvions être surpris, plus tard, du dépôt dans nos verres. Très chic, restaurant réputé, le « Bristol » à Paris, 2 étoiles. Notre Cantemerle du millésime merveilleux 196l, alors âgé de 13 ans, a été tellement secoué par le garçon que nous ne pouvions qu’espérer que le dépôt serait distribué si finement que nous ne nous en apercevrions pas. Ensuite il a décanté – sans bougie. Probablement il ne voulait pas regarder ce qu’il avait fait.
Quelques mois après je suis retourné au même endroit, et encore une fois j’ai demandé ce « Cantemerle ». Cette fois-ci la bouteille était décantée ailleurs où je n’ai pu l’observer. Mais le dépôt dans mon verre était très visible. Pour l’expérience suivante de ce genre j’ai pris place, littéralement, en décembre 1985, dans un endroit bizarre: un train. Pas n’importe lequel. Avec celui-ci la SNCF espérait gagner beaucoup de gloire et en même temps enlever des clients à Air Inter. Elle mettait en ligne entre Strasbourg et Paris un train de luxe avec restaurant. Il partait le matin de Strasbourg et revenait le soir. Il était destiné au monde des affaires, et la SNCF le baptisait « La Nouvelle Première ». Mais il n’était pas fermé, bien sûr, aux touristes. L’inspirateur de ce restaurant roulant n’était nul autre que Joël Robuchon, un des plus grands chefs de l’époque. La carte des vins était composée par Hemi Gault, grand spécialiste réputé, lui aussi. Tout ça était très tentant. Or à cette époque des voies ferrées comme pour le TGV n’existaient pas encore, surtout pas entre Paris et Strasbourg. Le train atteignait parfois une vitesse de 160 km/heure. A cela, la voiture-restaurant n’était pas adaptée. Sur les tables les verres glissaient de gauche à droite. Dans les virages ils étaient soumis à une forte inclinaison; il fallait les tenir en main.
Il y avait là Les Forts de Latour 1974. Pas une année merveilleuse, mais buvable. Je pensais qu’il fallait décanter, et je m’attendais dans ce wagon instable à une véritable danse du sommelier. Or il n’essayait même pas. Alors arriva ce qui était à craindre. Déjà dans la bouteille on voyait un dépôt énorme, à peu près à mi-hauteur. Mécontent, j’ai mis notre bouteille un peu à coté dans l’espoir optimiste de donner au vin un peu de calme. Mais alors le « Steward » est arrivé de suite, a saisi la bouteille et rempli nos verres avec beaucoup d’élan, et avec une nuée noire. Il était évidemment fou de choisir un tel vin pour un tel train. En 1993 je suis revenu à la « Tour d’Argent » à Paris. Un jeune garçon a versé du Montus 1985 dans la carafe jusqu’à la dernière goutte. En conséquence le dernier verre n’était plus buvable à cause de son dépôt épais. En 1994 nous avons diné plusieurs fois chez Joël Robuchon, dans son nouveau restaurant palatial à Paris. En dépit de son patronage du train à dépôt on ne pouvait pas lui reprocher les secousses de la SNCF. Or ici dans le calme, après du blanc sans faute, est arrivé sur notre table du Château Pavie 1985 – et a laissé pas mal de dépôt dans le dernier verre.
Une nouvelle variante de l’art nous présentait à la Saint Sylvestre 1994 le « Café de Paris » à Biarritz, 1 étoile. Nos rouges – Pavie 1983 d’abord, Giscours 1988 ensuite – étaient montés debout, secoués dans toutes les directions (sans mauvaise intention, bien entendu) et finalement versées avec beaucoup d’énergie dans la carafe … sans bougie! Alors comment ne pas s’attendre au dépôt? Sur l’île de Rügen, en 1996, dans l’agréable Hôtel « Sonnenhaken » déjà le verre dans lequel je devais goûter le 1990 Châteauneuf de Beaucastel contenait pas mal de dépôt. Eh bien ici il n’était pas possible de décanter, selon la serveuse, parce que l’unique carafe avait été cassée. On n’en avait pas encore trouvé une qui plût au patron … Mai 1996, Périgord. Au « Centenaire » On a décanté notre Hermitage 1988 de Chave d’une façon tellement malhabile que son dépôt n’a changé que deux fois de place: de la bouteille dans la carafe, de là dans nos verres.
L’année 1997 devait m’apporter d’autres expériences mémorables. La première à Paris chez le fameux Ducasse, 3 étoiles, où nous étions fort bien traités – sauf par le sommelier. Clos de Vougeaut 1985 de Mugneret n’était pas décanté, apparemment par principe. Nous avons alors décidé ce jour là que le dépôt ne devrait pas nous déranger. La même année, chez « Don Alfonso », 3-étoiles italien, le sommelier a apporté de l’Ornellaia 1989 en l’agitant bien, et a mis la bouteille dans le panier verseur avant de disparaître. Après un moment il est revenu avec une bougie pour décanter. Pour aérer le vin et le débarrasser du dépôt, dit-il. Mais alors il ne fallait pas agiter la bouteille et la mettre debout, dis-je. Mais il l’avait ramenée de la cave avec beaucoup de prudence, répondit-il. Au printemps 1998 j’ai encore fais un tour d’Italie. Restaurant « AI Sorriso » à Soriso en Piemont, 3 étoiles: La serveuse a placé une bougie de telle sorte qu’elle ne pouvait rien voir dans la bouteille, et alors elle a versé tout ce qu’il y avait dans la carafe.
Le dépôt dans mon verre ne m’a pas surpris. A Boves, « AI Rododendro », 2 étoiles. Du Barolo 1985 de Ceretto bien agité avant de remplir les verres. « Décanter, c’était la mode l’année dernière, maintenant ça ne l’est plus », entendis-je avec surprise. En dehors des Pays-Bas on sait peu qu’il y a là des restaurants de premier ordre. Parmi eux le « Kaatje bij de Sluis », 2 étoiles, à Blokzijl. Ici également on mettait le rouge, Lagune 1989, debout avant de le décanter, ce qui n’avait plus de sens. Parmi les restaurants où l’on agite les bouteilles de rouge excessivement, le « Gill » à Rouen, 2 étoiles, a surement une place de choix. C’était en Mars 1999. Deux jours plus tard en Bretagne au « Château de Loquénolé », 1 étoile, nous avons eu, encore une fois, notre vin non décanté et plein de dépot, du Beaucastel 1991. « Nous décantons quand c’est désiré, mais c’est rare », dit le sommelier.
Toujours en Bretagne, « Moulin de Rosmadec », 1 étoile. L’ Hermitage la Chapelle de Jaboulet, 1985, très agité. Le sommelier: « Celui-là nous ne décantons jamais. Il faut faire attention et verser avec prudence ». Eh oui. Nos verres étaient pleins de dépôt. Au « Divellec » à Paris, 2 étoiles, fin Mai 99, on nous a apporté notre Pichon Baron 1993 dans un panier verseur. Heureusement on l’a laissé sur notre table, ce qui est rare dans ce type de restaurant. A la fin, je me servais très prudemment pour laisser le reste avec le dépôt dans la bouteille. Rien à faire: le sommelier est arrivé tout de suite, a saisi la bouteille et jeté tout ce qui restait dans mon verre, qui alors contenait presque plus de dépôt que du vin. Une autre façon de nuire à la qualité du vin noble, ce sont souvent les verres pour le vin blanc. En principe les gens de la grande restauration savent que le vin a besoin d’être aéré, qu’il doit s’épanouir par contact avec l’air. C’est pour cette raison que, en contraste avec la bière, les verres à vin ne sont jamais complètement remplis dans les bons restaurants, par contraste aux wijnstube de toutes sortes avec leur vin courant. En principe!
Pour le rouge, au cours du temps, des verres assez grands, volumineux se sont imposés. Toujours avec la règle qu’il ne faut jamais les remplir, que l’idéal est un tiers, au maximum la moitié. La plupart des restaurants de classe utilisent ces verres. Or, l’amateur du bon vin blanc – et presque tout le monde est amateur de blanc avec les plats de poisson ou de volaille blanche avant de passer au rouge pour le plat de viande et le fromage – l’amateur de vin blanc est très souvent désavantagé d’une façon inexplicable. On lui réserve presque toujours le plus petit verre dans le trio qui se trouve normalement sur sa table, le troisième, souvent le plus grand, étant réservé à l’eau. Mais le vin blanc aussi, du moins le noble, a besoin de l’espace et d’air pour s’épanouir. L’eau non. Très souvent j’ai vexé les garçons dans des établissements respectables en insistant pour qu’ils mettent l’eau dans le petit verre et le blanc dans un grand. Parfois j’entends alors qu’il s’échaufferait trop vite dans le grand.
C’est un argument stupide. Cela ne pourrait être vrai que si le vin n’était pas assez frais au début. Et cela sous-estime grandement que la plupart des gens ont plus soif au début, avec leur blanc, qu’après avec leur rouge. Cela montre aussi le peu d’attention accordé à ce qui se passe réellement à table: plus petits sont les verres, plus vite ils sont vides. En principe à une table de plusieurs convives un garçon devrait rester constamment là pour pouvoir remplir les verres à temps. Or pour cela le personnel n’est pas assez nombreux. Alors le grand verre n’est pas seulement mieux pour le vin mais aussi une politesse naturelle envers le client. Finalement le petit verre enlève à celui-ci la possibilité de sentir pleinement les aromes et le goût optimal auxquels il a droit. J’ai pu observer, à ma grande surprise, des verres à vin blanc particulièrement minuscules au restaurant du « Ritz » parisien, 2 étoiles. Il y en avait aussi sur notre table. C’était il y a bien longtemps, en octobre 1984; peut-être il y en a de meilleurs aujourd’hui. Au « Bristol » également, les verres à vin blanc étaient les plus petits. Au « Relais de la Poste » à Magesq dans les Landes, également 2 étoiles, fin 91, même les verres pour le vin rouge étaient minuscules.
En fin de compte, on s’aperçoit que toutes ces carences concernant le traitement du vin proviennent justement de ceux qui ont pour charge de le soigner, c’est à dire des sommeliers eux-mêmes. Entendons-nous bien: nous connaissons des sommeliers et, dernièrement, des sommelières de grande valeur. Mais puisqu’il manque souvent du personnel supplémentaire, le sommelier dans la plupart des cas doit tout faire seul. Alors il ne peut pas servir tout le monde au mieux, surtout dans une salle bien remplie. Cela représente un désavantage certain pour tous ceux qui n’ont pas, à cause de la carence du service, la possibilité de savourer le vin noble à sa hauteur.
En Hollande, près de Haarlem, nous avons rencontré au restaurant « De Bokkedoorns », 2 étoiles, un sommelier tellement surchargé. Il fallait toujours attendre son retour d’un coin lointain de la salle. Les vins étaient servis longtemps après les plats qu’ils devaient accompagner. A Lyon, au « Léo de Lyon », 2 étoiles, il ya une dizaine d’années, le sommelier ma donné, comme d’habitude, quelques gouttes pour goûter notre vin, a mis la bouteille à coté, et a oublié de remplir nos verres avant de disparaître. Au lieu d’attendre trop longtemps nous nous sommes finalement servis nous-mêmes. Au « Relais de la Poste » à Magescq, déjà nommé, ça n’a pas été mieux. C’était le dimanche midi entre les fêtes de la fin de l’année 1991. Une foule de grandes et petites familles et groupes, une grande salle pleine – et un seul sommelier. Lui aussi, ayant enfin ouvert notre bouteille qu’on avait attendue bien longtemps, a disparu. Malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas arrivés à nous procurer, à quatre! , plus qu’une bouteille de blanc et une de rouge, cette dernière après une attente éternelle. Repas de fête! Expérience tout aussi désagréable avec un sommelier rarement visible: « La Bergerie », 2 étoiles, dans le Luxembourg en été 1999. Pour terminer: Peut-être êtes-vous de mon avis qu’il faut faire un effort d’éducation pour que le vin noble, le bon vin, ne soit pas aussi souvent victime de traitements qui diminuent sa qualité – et avec cela, sa réputation.