« Mes gourmandises poétiques et viticoles »
… » Un an ne compte pas, 10 ans ne sont rien, être artiste,
être vigneron, c’est ne pas compter, c’est croître comme
l’arbre qui ne presse pas sa sève et qui résiste aux grands
vents du printemps, sans craindre que l’été puisse ne pas
venir ; l’été vient mais il vient que pour ceux qui savent
attendre, je l’apprends tous les jours au prix de souffrance
que je bénis, patience est tout…. »
Rainer Maria Rilke 1875 – 1926
Mesdames et Messieurs les académiciens Bonjour,
Comment ne pas débuter ici à Genève, siège de cette illustre académie, cette intervention poétique et viticole par un extrait des « Lettres à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke….
Né à Prague en bohème en 1875, cet amoureux de la Suisse finit ses jours dans ce cher Valais qu’il aimait tant… Décédé à Montreux en 1926, il est enterré à RARON, petit village valaisan, situé à quelques kilomètres de SION. Et ce haut Valais fut le témoin en octobre dernier d’une de mes très belles gourmandises poétiques et viticoles que je m’empresse de vous conter.
Parti en goguette avec des vignerons du Beaujolais, la famille Geoffray, Château Thivin, Côte de Brouilly et Marie Lapierre, Domaine Lapierre, Morgon, pour ne pas les citer et après avoir salué Raymond PACCOT, votre chancelier, à Féchy dans ses vignes en vendanges, le temps d’un petit blanc au dessus du lac, nous partîmes pour RARON où nous étions invités à déjeuner.
RARON, ce petit village où est donc enterré RILKE. Court instant de recueillement devant la tombe du poète, adossée à l’église, qui se dresse sur un piton rocheux, dominant le village et entouré de ces paysages magnifiques du Valais. Nous prîmes ensuite un petit chemin, qui sent la noisette forcément, et qui serpente le long d’un ruisseau au dessus de l’église pour grimper jusqu’au clos Joséfine. Le Clos Joséfine, 28 ares de Pinot Noir, clos de mur ; les vendanges et la pause déjeuner.
Accueillis par les fils du vigneron, Hans Peter Baumann, Roman et Diego, ils nous proposèrent une raclette, sous la tonnelle, fondue au feu de sarment avec un verre de ce délicieux Pinot Noir du Clos Joséfine 2010, dans lequel nous étions attablés. Imaginez : une raclette au feu de bois en plein air dans un clos dont nous dégustions le suc avec en contre bas, l’église et la tombe du poète, le tout entouré de ces montagnes se découpant sur un ciel bleu roi. J’étais bien au coeur d’une de ces gourmandises poétiques et viticoles dont je raffole.
Et cet après midi là, j’ai bien regretté de ne pas parler allemand, afin de déclamer l’un des célèbres quatrains VALAISANS de Rainer Maria Rilke :
« Et de la terre sort
Cette verdure soumise
Qui par un long effort
Donne la grappe prise
Entre nous et les morts »
« Il y a une civilisation du vin : c’est celle où les hommes cherchent à mieux se connaître pour moins se combattre » Gabriel Delaunay
Je vous remercie donc de m’avoir invité à faire votre connaissance, sans parler de combat bien entendu, mais peut-être de joutes, de joutes dégustatives ; sérieux amateurs illuminés du palais et du goût que j’en suis sûr, vous êtes tous et toutes.
Car comme le dit Jacques Puisais : « Si vous ne mettez pas des mots (paroles ou écritures) sur le vin que vous buvez, ce vin n’existe pas »
Ce qui logiquement conduit donc à l’échange et nous ramène à la connaissance. « On est gourmand comme on est artiste, comme on est poète. Le goût, c’est un organe délicat, perfectible et respectable comme l’oeil et l’oreille» Guy de Maupassant
Et pour Paul Claudel « Le vin est un professeur de goût et, en nous formant à la pratique de l’attention intérieure, il est le libérateur de l’esprit et l’illumination de l’intelligence »
Et que serait le goût sans certaines saveurs, comme par exemple l’amertume : « Comprendre l’amertume est le degré de raffinement le plus élevé de tout dégustateur » Jacques Puisais ou l’acidité : « L’acidité, agent qui nous provoque, ingrédient clef, pour poser des questions à nos palais » Hugh Johnson
C’est par le sel que je voudrais revenir aux origines, à la terre, au terroir, à la naissance…. Aubert de Villaine ne disait-il pas : « On n’est que des sages-femmes du terroir, on accouche de Millésimes »
Dans son livre AMPELOGRAPHICA, illustré par de superbes dessins de Christine Colin, André Ostertag, nous parle de la terre.
Terre : « Derrière le manteau fertile des roches en poussières, Après les profonds silences des troupeaux de pierre Se cache le socle mystérieux des origines. »
Ce qui me permet de rebondir sur Michel Onfray, qui nous parle des « formes du temps » : « Avant toute vie rampante, chaloupante ou marchande, la pierre exprime la présence, ce que les philosophes appellent la pure présence au monde. Aveugle et dépourvue de conscience, sommaire dans sa vitalité et son énergie, la pierre contribue à une grammaire et une syntaxe qui permettent un style, ce qu’en d’autres termes, on appelle le terroir. Un terroir, c’est une identité et une identité ne souffre pas d’aménagement. Ce qui se dit dans les lentilles géologiques, qui font tel ou tel vin, est indicible ailleurs. Unique, le sol sollicite des quintessences qui fournissent en retour, matière à entretenir le caractère exceptionnel. »
Je laisse à Colette la Bourguignonne la conclusion de ce chapitre terre avec un extrait de « Chéri », nous sommes en 1920. ….
« La vigne, le vin sont de grands mystères. Seule dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible, ce qu’est la véritable saveur de la terre. Quelle fidélité dans la traduction.
Quelle journée sans nuage, quelle douce pluie tardive décident qu’une année de vin sera grande entre les années ?
La sollicitude humaine n’y peut presque rien, là tout est sorcellerie céleste, passage de planète, tâche solaire. Elle ressent exprimée par la grappe, les secrets du sol. Le silex, par elle, vous fait connaître qu’il est vivant, fusible, nourricier. La craie ingrate pleure, en vin, des larmes d’or… »
« Le vin, c’est la terre qui nous parle, l’ivresse c’est quand on a su l’entendre »
C’est par le biais de cette maxime tirée d’un scénario de film que je voudrais aborder cette autre saveur qu’est l’alcool, dans ce parcours poétique du dégustateur. Mais avant de donner la parole à de grands buveurs, puisqu’on parle d’alcool, je voudrais attirer votre attention sur l’abus, car à une certaine époque, vous pouviez perdre autre chose que des points, un permis ou même aller en prison
…. Nous sommes en 1570, voici l’Edit de François 1er
Tout homme convaincu de s’être enivré sera condamné :
Pour la première fois : à la prison, au pain et à l’eau.
Pour la deuxième fois : à être fouetté dans la cour intérieure de la prison.
Pour la troisième fois : à être fouetté publiquement
Pour la quatrième fois : il sera banni du royaume de France, après avoir subit l’amputation des deux oreilles….
Et qu’appelle-t-on un « vin des deux oreilles » pour ceux qui les auraient encore ?
La réponse nous est donnée par Claude Duneton dans son dictionnaire des expressions imagées et leurs histoires, qui a pour titre « la puce à l’oreille », publié pour la première fois en 1978.
« En 1555, suite à un été pourri, le raisin avait très mal mûrit et donna un vin vert et acide. En le buvant, les gens secouaient la tête sous la violence de l’aigreur, à la manière d’un chien qui s’ébroue. C’est ce qu’on appelle « un vin des deux oreilles ».
Mais revenons à cette petite sélection de grands buveurs poètes devant l’éternel, qui ne contrediront certainement pas Charles Baudelaire lorsqu’il déclare : « Le vin est semblable à l’homme : on ne saura jamais jusqu’à quel point on peut l’estimer et le mépriser, l’aimer ou le haïr, ni de combien d’actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est capable. Ne soyons donc pas plus cruels envers lui qu’envers nous-même et traitons-le comme notre égal »
Ce même Baudelaire, qui n’hésitait pas à partir à cheval sur le vin pour un ciel féerique et divin. Et puis, cet autre cavalier du Michigan, Jim HARRISSON, qui a la réputation, lorsqu’il est seul au restaurant, de ne jamais commander un verre, mais une bouteille. Il nous parle de cette dernière comme d’un calumet de la paix : « L’acte physique élémentaire qui consiste à ouvrir une bouteille de vin a apporté davantage de bonheur à l’humanité que tous les gouvernements de l’histoire de la planète ».
Dans « Itinéraire spiritueux » de Gérard OBERLE, on retrouve bien sûr Jim HARRISON, avec lequel il entretient depuis fort longtemps une passionnante correspondance. Erudit, gastronome, cuisinier, libraire de livres anciens, Gérard Oberlé est l’auteur d’un livre unique au monde : »Histoire du boire et du manger en EUROPE, de l’antiquité à nos jours à travers les livres », fruit du recensement de 1181 livres gourmands. Il nous parle de sa façon de s’apaiser : « Je ne sais rien de plus rassurant qu’une carafe de cristal ventrue dans laquelle un vin adulte est entrain de se dégourdir »
Et comment ne pas citer François Rabelais, né en 1493 :
« Je bois pour la soif à venir
Je bois éternellement
Ce m’est éternité de beuverie
Et beuverie d’éternité »
Et le petit dernier, pour la route, mort d’alcoolisme à Montmartre en 1981, beaucoup moins célèbre que ses chansons, poète, parolier, dialoguiste de film, c’est lui qui a écrit entre autre, « Mon truc en plume » – Zizi Jeanmaire, « Syracuse » – Henri Salvador, ou encore, « Si tu me payes un verre » interprété par Serge Régiani.
C’est Bernard DIMEY : « Ivrogne et pourquoi pas ? Je connais cent fois pire ; ceux qui ne boivent pas, qui baisent par hasard, qui sont moches en troupeaux et qui n’ont rien à dire Venez boire avec moi, on s’ennuiera plus tard…. »
Deux petits clins d’oeil pour saluer ces poètes :
Le premier de Georges Courteline, célèbre auteur de théâtre français :
« Pour savoir qu’un verre était de trop, encore faut-il l’avoir bu »
Et le deuxième de l’acteur Jean Carmet avec sa question fondamentale :
« Il y a des globules blancs, il y a des globules rouges, mais y-a-t-il aussi des globules rosés ?»
Cette alchimie, cette fermentation, cette transformation, cet élevage, ce vieillissement conduit forcément à la mémoire, au secret. Il y a un vin pour moi, si je ne devais n’en citer qu’un, qui illustre parfaitement cette mémoire ce secret, c’est »Le clos de Monsieur Nolly » de Gérard Valette. Un pouilly-fuissé de Chaintré en Bourgogne sud, élevé sans quasiment aucune intervention humaine de 84 mois à plus de 10 ans pour certains millésimes. Ce vin se présente comme un exemple de sagesse, parfumé à l’extraordinaire, car il a traversé, je cite Gérard Valette, »tous les âges de l’homme », la jeunesse, la fougue, le désespoir, la maturité, la drôlerie, la joie ; il a pu durant ce long, ce très long silence, échouer avec tranquillité et garder son enthousiasme et se présenter dans nos verres tout emprunt du goût de sa fabuleuse épopée immobile…
Jules Renard dirait »qu’il a passé l’âge de mourir jeune » et Sainte Beuve pour la conclusion ; « Vieillir est ennuyeux, mais c’est le seul moyen qu’on ait trouvé pour vivre longtemps » On touche là avec ce clos de Monsieur Nolly, à la science du savoir-boire, je pense à Salvador Dali qui disait : « Qui sait déguster, ne boit plus jamais de vin, mais goûte des secrets ».
L’enchaînement avec Francis Ponge est évident : « Comme de toutes choses, il y a un secret du vin, mais c’est un secret qu’il ne garde pas. 0n peut le lui faire dire : il suffit de l’aimer, de le boire, de le garder à l’intérieur de soi-même. – Alors il parle ».
Après l’amour du flacon, abordons le dernier chapitre de ce parcours par le flacon de l’amour, inspiré par cette chanson de Nicole Croisille, dont le refrain décrit cet homme ; « Gai comme un italien quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin »
Et cet autre auteur italien, Léonard de Vinci : « Je crois que le bonheur vient aux hommes qui naissent là où on trouve de bons vins »
Et en tant que comédien, comment ne pas citer Molière :
« Les biens, le savoir et la gloire
N’ôtent point les soucis fâcheux
Et ce n’est qu’à bien boire
Que l’on peut être heureux »
Voici donc en conclusion cette histoire d’amour par les flacons et qui finit bien : Il m’est arrivé une histoire dont il faut que je vous donne, si je puis dire, la »primeur ».
C’était il y a quelques temps, au bal de la Nuits »Saint Georges », que j’ai rencontré la petite »Juliénas », une fille drôlement »Gignondas », un sacré beau »Meursault », bien charpentée, et sous sa robe vermillon, un grand »cru classé », avec des arômes de cassis et de fraises des bois.
On a dansé »Anjou » contre »Anjou » sur un »Sylvaner » à la mode et plus tard lorsque je lui ai proposé de l’emmener dans mon »Chateauneuf-du-Pape », elle est devenue toute »Croze-Hermitage » !
Le temps d’aller chercher un »Chablis » au vestiaire, de mettre un petit »Corton » dans ses cheveux, on est monté dans ma »Banyuls » et on a roulé jusqu’au matin.
Ah quelle belle journée ! On s’est baladé »Entre-deux-mers », il faisait beau, on a »Vacqueyras » sur la plage, les pieds dans l’eau »Clairette » puis, on s’est »Pouilly-Fuissé » dans les dunes et comme le »Mercurey » montait sérieusement et qu’on commençait à avoir les »Côtes-Rôties », on a décidé de rentrer.
Mais voilà, en partant nous nous sommes retrouvés coincés dans les embouteillages, enfin les »bouchons », quoi !! Je commençais à »Minervois » sérieusement et là, »Juliénas » et moi, nous avons commencé à nous crêper le »Chinon ».
D’un seul coup, elle a claqué la »Corbière » de la »Banyuls » et elle est partie !
Je me suis retrouvé comme »Macon ». Mais elle va voir de quel Arbois je me chauffe !
Quoi, me suis-je dit, elle s’est déjà »Sauvignon » avant même que j’ai le temps de la »Sauternes » ! Mais, je vous »Jurançon », je l’avais déjà dans la »Pauillac », en effet, j’étais déjà tellement »Tokay » d’elle, que je lui ai couru derrière dans »Lalande » et les »Chardonnay » pour la rattraper.
Quand on s’est retrouvé, et que je l’ai vue devant moi en »Gros-Plant », je lui ai dit : Ne fais pas ta »Pomerol » et ne t’en vas plus »Gamay » !!! En pleurant, elle est tombée dans mes bras en »Madiran » : « Ne m’en veux pas, je voulais juste être sûre que ton »Saint-Amour » était vraiment »Sancerre ». Depuis, on ne s’est plus »cuités ».
Collectif
Et comme disait MARIVAUX :
« Allons boire pour faire aller plus vite notre amitié »
Et je conclurais par une phrase en latin pour rehausser le niveau culturel de l’intervention
Abusus Non Tollit Usum
(L’abus n’exclut pas l’usage)