« 1979: Chili, le défi viticole »
J’ai grand plaisir à vous joindre aujourd’hui en vous remerciant sincèrement de votre bon accueil et admission dans l’Académie Internationale du Vin. Je m’appelle Joseph Puig, j’ai 60 ans et je dédie, comme mes ancêtres, toute ma vie a la viticulture, l’élaboration, la distribution et la vente du noble produit. Je crois quelquefois que c’est le vin et pas le sang qui coule tout au long de mes veines … Et j’en suis ravi et content. C’est peut-être pour cela que je suis ici aujourd’hui, car j’entends le vin d’une façon très complète, globale et démocratique; peut-être aussi très anarchiste en même temps, donc en fin de compte, le noble produit est heureusement tout a fait libre et nous apprend dans chaque vendange, dans chaque vinification beaucoup de nouvelles choses et sensations qu’on ne connaissait pas avant.
C’est toujours lui qui nous fait continuer et continuer dans notre métier; on ne pourra jamais l’attraper, il sera toujours devant nous pour nous montrer un nouveau chemin à suivre, chaque fois différent. Précisément ce sont l’indépendance et la rébellion dans le vin qui m’obligent toujours à tâcher d’être plus sage et à suivre chaque année avec plus de passion que jamais le chemin ouvert il y a longtemps par mon arrière-grand-père, comme me le disait il y a longtemps Jean Paul Gardère, ancien gérant de Château Latour. Le vin est passion et fonction; si on y enlève la passion, on devient des fonctionnaires. Il est absolument nécessaire d’éviter cette situation. La petite histoire qui suit fait aussi partie de cette passion partagée qui m’ a beaucoup fait souffrir, mais qui m’a aussi appris beaucoup de dynamiques et situations positives autour du patrimoine international du vin.
Quand je suis arrivé au Chili il y a longtemps, je me suis demandé, par principe, si j’y resterais beaucoup ou si je le quitterait bientôt. En rentrant, j’ai vu une situation assez démodée car la structure viticole que j’entendais comme moderne n’existait pas du tout: pas de contrôle de température, pas de bois neuf, ni français, ni américain, pas d’esprit novateur, beaucoup de chauvinisme bien entendu et surtout un culture sociale viticole très enracinée, ancienne et loin des remises de question. Pour vous dire que quand j’ai importé de l’acier inox, la Banque Centrale du Chili a dû créer un nouveau code, et pour le bois (la dernière fois qu’ils avalent importé du bois neuf était 25 ans auparavant. Ils ont également dû créer un nouvel épigraphe). Je me rappelle encore qu’en hiver, quand la grêle arrivait, on courrait pendant la nuit pour allumer les piles de vieux pneus pour former des nuages artificiels et éviter la pénétration néfaste du soleil sur les raisins.
Uniquement les grands vignobles pré-phylloxériques étaient là, superbes et orgueilleux comme de vrais «carabineros» de l’époque du vieux général. En voyant tout ce panorama et en faisant une petite réflexion, je suis absolument sûr que ce sont ces cépages qui m’ont conquis. C’était le moment de décider : ou rester, ou partir. Malgré avoir beaucoup souffert socialement avec des problèmes d’intégration et d’habitudes et coutumes différentes, je peux dire qu’heureusement, je suis resté pendant 5 ans et que je suis parti seulement quand l’entreprise a consolidé son autofinancement. 1979, c’était pour moi le temps d’un difficile défi viticole. Ma permanence au Chili a beaucoup marqué ma vie, ma façon d’agir et surtout ma personnalité.
Après avoir mis un pied au Chili, tout paraissait aller contre moi: la langue, la civilisation, la culture, la dictature. Mais le pire, c’étaient les inconvénients au niveau de l’infrastructure. C’était décembre 1979 et les vendanges étaient presque là, les cuves en acier pour en finir l’assemblage et les installations pas prêtes et ne répondaient pas aux besoins basiques. Les voisins viticulteurs nous regardaient comme si nous étions d’une autre planète; ils venaient, regardaient et posaient des questions : «Oh, des cuves en aluminium…», disaient-ils. «Combien cela coûte-il par litre?» «Un dollar à peu près», répondais-je. «Un dollar ? Ici en béton c’est 0.10 centimes et pas de goût d’aluminium dans les vin comme le votre… Nous pensons, Monsieur, que vous vous êtes trompé en venant au Chili… Et en plus vos vins ne nous plaisent pas du tout! Vous savez que les importantes maisons espagnoles A et B ont été ici aussi pour faire la même chose que vous?? Vous savez combien de temps ils sont restés au Chili ?? Devinez, devinez, moins de deux ans… Ah et ils avaient beaucoup d’argent.»
Plus de morosité encore à ajouter : quand le Sauvignon blanc en contrôle de température, frais, fantastique était fini, mes collègues compétiteurs le dégustaient, et commentaient : « Qu’est-ce que c’est que cela?? Ce vin nous fait penser, excusez moi, au pipi de cheval! Cela ce n’est rien du tout, il faut déguster et prendre exemple sur le vin Las Enclnas, le meilleur blanc du Chili, qui va très bien avec tout mais surtout avec les huitres!!! » J’avoue que j’étais impressionné par ces mots et j’avals peur de tout, mais en le dégustant à la première occasion, j’ai éclaté de rire intérieurement, car je trouvais que leur vin était oxydé, une espèce de Xérès, sans personnalité, impossible à marier avec de la nourriture; peut-être comme dessert. Ma prochaine question était celle-ci: «Peut-être ont-ils raison, pourquoi suis-je ici ?» Après avoir réfléchi un peu, je trouvé la réponse: parce qu’ici il y beaucoup à faire dans le domaine de la vinification. D’un autre coté, je n’ai pas fait 10.000 km depis chez moi pour faire le même vin qu’ils produisent. Pour le bien ou pour le mal, j’étais là. Peut-être réussirais-je ou non, mais il fallait continuer et travailler durement avec toute la ténacité possible.
Je pensais : «Si je fais un vin différent, la vente doit être différente aussi, plus en concordance avec mon vin». Mais ce n’était pas évident, car comme je l’ai déjà dit, la culture était autre. J’ai commencé a vendre le nouveau vin dans des endroits ou il serait peu apprécié et accepté, des endroits fréquentés par des gens et des clients européens. Des Ambassades, des country clubs, des hôtels internationaux, des clubs espagnols, des restaurants européens, etc. Un tout petit soleil commençait à prendre une forme positive, mais cela n’était pas suffisant pour maintenir une exploitation de 100 hectares et 300 000 bouteilles. Une fois, je me suis questionné quant à savoir si quand je serais à la retraite, j’aurais encore des vins en stock! Mais hélas! Un jour je me suis levé d’une façon plus positive que jamais. L’idée de convaincre la clientèle semblait parfaite, mais pourquoi pas convaincre aussi la concurrence en même temps? J’avais un bon sentiment.
J’ai développé cette idée et commencé a visiter les entreprises viticoles plus importantes du pays. Elles ont tout de suite compris que sans technologie, l’exportation pour lutter avec les autres vins européens ou américains, serait très difficile, surtout au niveau des vins blancs. A l’époque, je m’en rappelle bien, ils exportaient à peine les blancs. Les rouges s’exportaient bien, mais le bois vieux (rauli) n’était pas le plus idéal pour élaborer de vins haut de gamme. Ils savaient parfaitement qu’en incorporant du bois neuf français ou américain, ils pourraient améliorer leurs produits. Et pour ma chance et satisfaction, ils ont commencé à importer des technologies viticoles, l’une après l’autre, sans arrêt. Maintenant, les vins chiliens, blancs et rouges ont réussi et méritent un grand prestige international, reconnu dans le monde entier.
C’est comme cela que l’opération Torres, pionnier de la viticulture moderne au Chili a commencé a avoir du succès, Si l’on était plus a faire le même style de vin il serait beaucoup plus facile de changer la culture viticole du consommateur. Tous, tous en même temps, tout le monde y gagnait: les producteurs, les distributeurs et surtout les consommateurs qui ont commencé a boire des vins frais, légers et bien structurés, avec de la personnalité. Et d’un autre coté, cette même concurrence amicale, sans le vouloir, nous faisait de la publicité gratuite. Les clients et consommateurs commentaient: Regarde, Concha y Toro, Santa Carolina (exemples) font aussi un vin comme Torres. Ce sont des bons vins quand même, ce n’est pas mal du tout. Ce n’est pas difficile de s’y habituer. Comme commenté plus tôt, je suis sûr que nous avons apporté aussi au pays des idées commerciales de vente différentes, aussi plus fraîches, moins lourdes, avec plus de personnalité et de caractère, telles que les nouveaux vins.
Pas de publicité du tout, mais grâce à la nouveauté, plusieurs articles de presse ont été rédigés sur nous (les journalistes ont trouvé avec nous un grand filon informatif: pionniers, novateurs, etc.). Nous avons inventé les visites des sommeliers dans nos caves, je faisais des dégustations dans des restaurants au moment du service; nous avons organisé des cours d’initiation à la culture gastronomique pour les sommeliers, nous avons créé un club de vins, avons édité un bulletin viticole, etc. Enfin, en principe la concurrence pensait qu’on était des fous, mais à la fin ils ont suivi de très près nos stratégies. A partir de rien et presque sans le vouloir, l’opération Torres à ouvert un grand et interminable chemin économique pour les autres viticulteurs intéressées au défi chilien, pré-phylloxérique et au grand futur. D’autres ont, heureusement, ont suivi l’exemple.
De tout mon stage au Chili, j’avoue que le plus difficile de tout a été la vente et la distribution du nouveau produit en regard de la différence culturelle de consommation. Mais on voit bien encore une fois que dans cette vie tout est possible. Il y a des situations plus faciles, plus compliquées, plus rapides, plus lentes, mais en fin de compte c’est comme pour tout, il faut uniquement comprendre et pratiquer quelques formules que je considère comme très importantes: bien connaître l’endroit où ‘on se trouve et s’adapter a toutes les circonstances possibles. Accorder un programme d’action cohérent. Appliquer son intelligence et son savoir-faire. Etre patient : la vie ne se termine pas aujourd’hui (celle-ci était mon expression favorite). Faire preuve de ténacité, ne pas changer son but ! II faut y arriver. Etre humble, surtout au moment de la vente. C’est le plus important car tout le monde en est conscient. Et ne jamais oublier que le meilleur vendeur de vins a beaucoup à apprendre et peu à enseigner. Il enseignera uniquement en apprenant. Toujours, même si on vend des autres choses qui ont moins de succès.