« Le rôle de la barrique en Allemagne »
Il n’y a pas longtemps, l’usage de la barrique était quelque chose d’inconcevable en Allemagne. A la fin des années soixante-dix, il n’y avait que quelques producteurs isolés comme Franz Keller et Wolf-Dietrich Salwey en Baden qui avaient commencé à expérimenter l’élevage en barrique (d’ailleurs si je parle de la barrique, cela comprend des unités de 300 l. et parfois des tonneaux jusqu’à 600 l.). Jusqu’à cette époque-là, on avait constaté le triomphe de la cuve en acier. A cause des coûts élevés de production dans ma région – la région de Wurttemberg – aujourd’hui il y a une dominance de « l’acier» de plus de quatre-vingt dix pour cent de la capacité totale.
C’est en premier lieu la génération des jeunes vignerons qui a entamé le chemin vers le bois de chêne. Même aujourd’hui, il est toujours frappant de se remémorer que l’ancien Président de l’Association Nationale des Vignerons, le Dr Reinhard Muth, fut parmi les premiers à l’adopter. Notre confrère Franz Keller, Oberbergen, et Wolf-Dietrich Salwey ont sans doute joué le rôle de pionniers. Et cela n’était pas facile! Ces vins insolites ne correspondaient pas à une exigence principale de la législation allemande: le vin doit être typique de la région. Puisque la substance et le style de ces vins étaient tout à fait nouveaux, ils n’avaient pas de chance de passer au contrôle de qualité officiel.
Ainsi la plupart des crus portaient le nom de « vin de table ». C’est à la suite du grand succès qu’ont connu les « vins de table» en barrique que la politique officielle a changé; tout d’abord dans la région de Baden, suivie ensuite par les autres régions dans les années quatre-vingt dix. La publicité du conflit, entre les protagonistes de la barrique et ceux qui ont traité ce mouvement de « traître à la tradition nationale », a mené à un changement d’esprit. Aujourd’hui, des carcasses de barriques se trouvent presque partout, de la région de la Ahr au Nord jusqu’au Kaiserstuhl au Sud, devenu le haut lieu de ce développement. Il est sûr qu’on estime la quote-part de la barrique du point de vue de la production totale au moins à 1 % (les statistiques ne révèlent pourtant pas la quantité exacte).
Puisque la barrique ne correspond pas du tout au style classique du Riesling, les régions de la Nahe, du Rheingau et surtout de la Moselle – Saar – , Ruwer, ne participent presque pas à ce phénomène, à l’exception de quelques pinots blancs ou de vins rouges rarissimes dans ces collines. Ce sont en premier lieu le Baden, le Wurttemberg et la Pfalz qui produisent des vins élevés en barrique en quantités considérables. Au début, c’étaient presque uniquement les domaines qui ont préconisé ce style. Aujourd’hui, ce sont aussi les grandes coopératives, parmi lesquelles on trouve les plus grandes unités en Allemagne, le Badischer Winzerkeller et la Württembergische Winzerzentralgenossenschaft offrant ces produits, qui sont en fait très demandés.
Pourquoi ce nouveau style a-t-il eu un tel succès? Tout d’abord, il faut noter que le terrain était préparé par les importations de vins étrangers depuis longtemps, à peu près la moitié de la consommation en Allemagne. D’autre part, les vins classés selon le classement officiel qualitatif allemand avaient – hélas – un peu (et parfois beaucoup) perdu leur réputation. Cela résultait surtout de l’usage excessif des «grands titres», par exemple « sélection de grains nobles », parfois à des prix ridicules pour des qualités médiocres. Ce n’est pas mon intention de vous présenter les points faibles du classement qualitatif allemand. Mais cela a mené beaucoup de mes collègues à abandonner le système traditionnel. Un vin rouge chaptalisé, par exemple, qui se classe simplement comme « Qualitätswein » peut obtenir facilement un prix départ cave de trente mark et même plus. Presque tous les vins de barrique ont des prix au-dessus de vingt mark, une « zone» normalement réservée aux vendanges tardives ou aux sélections de grains nobles.
Il faut retenir qu’il y a un groupe important de clients – surtout les jeunes – qui ont suivi les vignerons en acclamant des changements non prévus dans le classement de la législation actuelle. La barrique n’est qu’un exemple de cette attitude. Tout de même, il y a eu une « guerre de religion» à cause du fût neuf. Un groupe traditionnel n’accepte pas du tout l’influence du bois, inutile d’en expliquer la raison. Les partisans de la barrique parlent de son rôle de « serviteur» en ce qui concerne le bouquet, la structure et certainement la longévité – c’est surtout la bonne restauration qui s’est décidée pour cette tendance. Les grands magazines ont crée des rubriques et même des grands prix uniquement pour ce rayon-là. Mais le sujet est toujours discuté et contesté par une clientèle traditionnelle.
Depuis l’année 1996, on peut dénommer l’élevage soit en tonneau en bois traditionnel, soit en barrique. Cela marque la fin du conflit en public. Même les vignerons les plus engagés (il y en a quelques uns qui produisent presque cent pour cent en barrique) admettent que l’élevage en barrique serait un péché mortel pour un vin blanc, léger et élégant, dans le rang de « Kabinett », et ce surtout pour tous les Rieslings. Il y a certainement toute une gamme « d’exceptions » et, – à mon avis – la barrique est l’exception à la règle, une alternative. Et cela sera toujours comme ça. Sans doute, ce sont les pinots qui sont bien adaptés à un « mariage ». Il y a aussi d’autres cépages rouges sensiblement plus tanniques comme le Lemberger, le Zweigelt (venant d’Autriche) ou une variété de couleur foncée comme le Dornfelder (création nouvelle, couronnée de succès). Puisque l’on ignore les chiffres exacts, il n’y a que des estimations: approximativement deux tiers à trois quarts des vins en barrique devraient être des vins rouges.
Pour prévenir des attaques multiples, on a créé en 1990, l’unique groupe national de vignerons élevant une partie de leurs vins en barrique, le « Deutsches Barrique Forum ». L’autre but est l’échange d’expériences et d’opinions. Il y a une trentaine de vignerons, certainement pas seulement connus pour ces vins, qui se sont retrouvés au sein du « Deutsches Barrique Forum ». A la fin de cet exposé rudimentaire, j’aimerais souligner que l’idée de la barrique a entraîné de nombreux changements dans la viticulture comme dans l’élaboration du vin. Aujourd’hui encore plus qu’auparavant, on attache beaucoup d’importance à la maturité et à la santé de la grappe, on aspire à un rendement faible puisqu’on a aussi obtenu des résultats peu satisfaisants. En ce qui concerne la « cave », on sait bien qu’il faut ménager le vin le plus possible. Le « facteur temps» est respecté, c’est à dire que beaucoup de crus restent dans le bois plus d’un an – ou parfois même plus de deux ans – et ils sont commercialisés beaucoup plus tard que d’habitude.
En bref, je crois que mes collègues ont bien appris leur leçon en ce qui concerne le rôle des fûts neufs, le « toasting », le mélange des bois, etc. En somme, ce mouvement œnologique qu’on a pensé pouvoir démasquer comme « traître à la culture traditionnelle » qui « dénature le vin », a provoqué non seulement une amélioration générale du travail de qualité chez les adeptes, mais j’ose dire aussi plus d’estime d’une clientèle peu conventionnelle pour les vins allemands, une estime qui n’est certainement pas uniquement réservée à ces vins nouveaux en barrique. Il me semble que la clientèle allemande reconnaît aujourd’hui un effort dans ce secteur comme ailleurs. Ce qui a commencé comme « défaut» du vin pourrait être – comme je dirais – un « style complémentaire» sans l’intention de bouleverser la conception fondamentale du vin allemand qui s’attache surtout aux vins blancs légers, élégants, fruités – en premier lieu au Riesling.
Mais ce n’est pas tout: d’ores et déjà, les vignerons s’occupent – par exemple – des pinots blancs qui reflètent la douceur noble, des cuvées de différents cépages et de nouveaux croisements de variétés rouges (étoile levante: Cabernet Sauvignon X Lemberger, un vin plein de facettes).
« La tradition, ce n’est pas conserver les cendres mais le feu », nous a dit Albert Camus.