« L’histoire du vignoble sud-africain »
La découverte de nouveaux mondes en Amérique et en Afrique a donné aussi un élan à la colonisation par la vigne. Vers la fin du XVIIe siècle, la vigne et sa culture ont pris racine dans un petit coin du Cap de Bonne Espérance d’où elles commençaient à s’étendre, d’abord à travers les plaines côtières et ensuite en pénétrant les hautes chaînes de montagnes menaçantes qui barraient la route vers les vastes régions mystérieuses d’un continent inconnu. La vie sur ce continent exigeait le courage – non seulement pour faire face aux difficultés de la survie quotidienne, mais aussi pour le développement de compétences relatives au gouvernement, à l’art et à l’architecture, ainsi que le développement d’un système de communication. Sous le soleil écrasant de l’Afrique, chacune de ces compétences trouvait sa propre identité dans laquelle l’héritage européen côtoyait la forte présence des saveurs et de l’odeur de la nouvelle terre. Ces saveurs et ces odeurs se sont également introduites dans le parfum du vin. Au cours des années l’homme et la terre grandissaient ensemble.
De nos jours, la viticulture dépend d’une association étroite du terroir et des compétences et de technologies sophistiquées. Cependant, pour créer un grand vin de qualité, il faut un élément supplémentaire : l’entier dévouement du vigneron. Un tel dévouement à une vocation a marqué, et continue à distinguer les meilleurs vignerons sud-africains. Pour bien comprendre le vin sud-africain, il faut marcher sous le soleil, dans les vignobles. Il faut rencontrer le grand nombre de personnes hospitalières dont la vie est consacrée à cette création de l’homme associé à la nature. Il faut se promener entre les rangées de ceps, écouter la voix du viticulteur, explorer la fraîcheur de la cave en compagnie du vigneron et finalement s’asseoir à une table en bois rugueux à l’ombre d’un grand chêne et savourer son vin. Cette réalité a eu ses débuts au milieu du XVIIe siècle sur une plage chaude, balayée par le vent lorsque l’idée du vin a vu le jour dans l’esprit de l’homme qui allait devenir le « premier vigneron» de l’Afrique du Sud; Jan van Riebeeck.
LES DEBUTS
L’Afrique du Sud est probablement un des seuls pays où l’on connaît le moment exact du commencement de la viticulture. La fondation d’un poste de ravitaillement en 1652 a mené à l’établissement d’une industrie vinicole florissante ainsi qu’à la naissance d’une nation, sans aucune peur que cette déclaration soit démentie. On peut donc dire que le fondateur de la nation sud-africaine, Jan van Riebeeck, était aussi le fondateur de son industrie vinicole. Il était un chirurgien néerlandais, âgé de 33 ans, qui avait l’intention de trouver un remède contre le scorbut. Le premier colon européen au Cap, marié à une française, Marie de la Quellerie, pionnier malgré lui et certes pas viticulteur. La tâche qui lui était assignée était de créer une base pour ravitailler les navires de la Compagnie des Indes Orientales en route vers les Indes. Le climat méditerranéen du Cap semblait indiquer que les vignes y viendraient bien. Après de nombreux appels lancés par le Commandant Van Riebeeck aux dix-sept administrateurs de la Compagnie à Amsterdam, ils ont expédié en 1655, et de nouveau en 1665 de petits envois de pieds de vigne.
Par les recherches nous avons essayé d’identifier ces premiers ceps et de tracer leur origine. Il semble bien qu’ils soient venus, comme ceux qui les ont suivis, de France. Comme ce sont les vignobles français qui se trouvaient les plus proches des Pays-Bas, ceci n’a rien d’extraordinaire. Van Riebeeck appelait certaines de ces plantes « son cépage espagnol ». Il allait recevoir un bon nombre d’envois de ceps au cours des années à venir et dans la plupart des cas il indiquait la France comme pays d’origine. Il est probable que le «cépage espagnol» était en fait du Muscat d’Alexandrie. L’identité exacte des premiers pieds de vigne était probablement moins importante que le fait qu’ils avaient survécu au long voyage et qu’ils étaient prêts à être plantés. Le jardinier en chef portait le nom bien choisi de Hendrik Boom – « boom» signifiant « arbre» en néerlandais. Il était assisté par Jacob Cloete van Kempen. Les ceps étaient plantés à côté des légumes dans les jardins de la Compagnie – des étrangers méditerranéens parmi les solides cultures néerlandaises. Les Hollandais n’étaient pas un peuple vinificateur et sur cette extrémité venteuse du monde ils étaient bien éloignés de toute connaissance œnologique. Une fois plantés, les ceps ne recevaient plus aucune attention mais, la vigne est une plante résistante qui s’adapte facilement, aussi, la jeune culture survivait à ce manque d’attention.
Alors que les vignobles s’étendaient, la communauté connaissait aussi une expansion qui comportait en elle des changements de structure. Les premiers « Vrijburghers » faisaient leur apparition. Van Riebeeck a vite compris que les seules ressources agricoles de la Compagnie ne pourraient pas subvenir aux besoins de tous les navires. Afin d’aborder ce problème, il a proposé qu’un certain nombre d’employés de la Compagnie soient dégagés de leurs obligations et qu’on leur donne de la terre à cultiver à proximité du village. D’où l’origine du terme « Vrijburgher» qui signifie en hollandais « citoyen libre ». Ces hommes venaient pour la plupart d’un milieu social défavorisé. Ils se trouvaient dans les rangs les plus bas du service de la Compagnie; des mercenaires, des soldats et des fils fugueurs – la « populace» de l’empire colonial hollandais. Au début ils montraient peu d’intérêt à la culture de la vigne, préférant les cultures plus familières. Peu à peu, ils se laissaient cependant influencer par la détermination du Commandant et ils introduisaient quelques vignes sur leurs terres. Ils étaient encouragés par la réussite évidente des vignobles de Bosheuvel et par la résistance des vignes. Malgré leur manque de connaissance, les vignes se portaient bien. Leurs méthodes étaient simples.
Les ceps étaient plantés à un mètre l’un de l’autre et disposés dans des rangées également espacées à un mètre. Cette disposition compacte épuisait probablement rapidement les ressources du sol. La vigne n’était pas soutenue par un treillage. Les rameaux des jeunes plantes étaient soutenus par des échalas. La communauté au bord de la rivière Amstel prenait racine en même temps que la vigne. L’expansion des activités agricoles avait pour conséquence un nouveau problème. Pour exploiter ces développements il y avait un besoin urgent de main-d’œuvre que la Compagnie allait fournir sous forme d’esclaves. Même si l’esclavage n’existait plus en Europe, l’expansion coloniale l’a fait revivre. Les Pays-Bas, comme d’autres nations colonisatrices, exploitaient la main-d’œuvre peu chère dans leurs territoires d’outre-mer. L’arrivée au Cap en 1658 de deux navires hollandais portant à bord 200 esclaves, a provoqué un brusque changement dans la situation du travail en changeant aussi de façon radicale la structure de la population. Ces esclaves venant de divers pays (Malaisie, Mozambique) allaient jouer un rôle décisif dans l’expansion et la consolidation de la colonie et dans le développement de l’agriculture et de la viticulture.
La viticulture en Afrique du Sud, disons-le d’emblée, n’avait pas de structure sociale égalitaire comme base. Le système était efficace mais cela ne peut aucunement justifier l’injustice humaine sur lequel il était bâti. Au début les esclaves étaient donnés aux Vrijburghers. Par la suite, ils les ont achetés et les esclaves faisaient alors partie de leurs biens. Les Vrijburghers étaient sans cesse par monts et par vaux. Ils se trouvaient seuls dans un cadre hostile, un paradis dangereux. Ils devaient le vaincre ou bien mourir. Ils tenaient entre leurs mains le grain d’une société à venir. La vigne qu’ils cultivaient tenait en germe la promesse d’une superbe croissance qui allait porter cette communauté au pouvoir et à l’opulence – de façon économique et symbolique.
La première récolte de « raisins français » a eu lieu en 1659. Vu les circonstances, la méthode était certainement très simple. Van Riebeeck passe sous silence la qualité de sa première production de vin. Il est probable que ce vin était tout simplement imbuvable. Cela, bien entendu, n’importait ni à Van Riebeeck ni à la postérité. Il a vaincu la circonspection des dix-sept Hollandais, administrateurs de la Compagnie, (un petit triomphe en soi), il a importé les ceps, il a veillé sur leur croissance, il a fabriqué le premier vin. L’inscription dans son journal de ce jour témoigne d’une manière sobre de ce moment bref mais historique: « Aujourd’hui, Dieu soit loué, nous avons pour la première fois passé au pressoir du raisin du Cap. Nous avons pris un échantillon du mont, de la cuve même. Les trois jeunes vignes de raisin français et de Muscat qui poussent ici depuis deux ans ont rendu 12 mengels (un mengel égale plus ou moins un litre) de mont. Le «Hanepoot espagnol » n’était pas encore mûr».
Même s’il n’était pas directement impliqué dans l’expansion de la colonie, Van Riebeeck a inspiré les premiers voyages d’exploration initiés quelques années après la fondation de la colonie. En 1657, un petit groupe de «Burghers» (citoyens) a traversé les plaines du Cap jusqu’au pied des montagnes du Nord-Est. Ce groupe aurait donné le nom de « Hottentots-Holland » aux montagnes qui formaient cette barrière naturelle. L’année suivante, le Commandant a lui-même donné l’ordre au Sergent Herwaarden de conduire une exploration plus systématique dans une vallée – aujourd’hui la vallée de Paarl – qui grouillait alors de gibier. Le groupe cherchait un endroit qui permettrait de franchir les montagnes afin d’atteindre l’arrière-pays. Ils se sont arrêtés au col de Roodezand qui donne accès à la vallée de Tulbach avant de rebrousser chemin. Le voyage était marqué par des événements tragiques: deux membres du groupe ont succombé à la dysenterie et un soldat a trouvé la mort, lacéré par un lion.
Van Riebeeck a quitté le Cap en 1662 pour reprendre le poste de Gouverneur de Batavia en Extrême-Orient, où il est mort à l’âge de 58 ans. On ne saura jamais si les «dix-sept messieurs» de la Compagnie, sombres mais astucieux à la lueur de chandelles dans leur chambre de conseil à Amsterdam, ont fait une prière pour son âme en apprenant sa mort. Malgré les indiscrétions de sa jeunesse, il s’est à la fin avéré méritant de leur confiance et de leurs espoirs. Ils auraient de toute manière assuré que les vignobles du Cap se portaient très bien. Ceci, malgré le fait que les Vrijburghers n’étaient pas les meilleurs agriculteurs et qu’ils ne s’y connaissaient pas du tout en viticulture. Leurs méthodes étaient extrêmement simples. Ils labouraient les plantations à la main – les rangs de vigne étant si près l’un de l’autre qu’un cheval et une charrue ne pouvaient pas y passer. Un siècle devait s’écouler avant que ces derniers soient associés au travail dans les vignobles. Les vignobles n’étaient jamais fatigués, les précipitations étant suffisantes dans la région. A cette époque, il n’y avait aucune maladie à craindre et la plus grave peste naturelle était les oiseaux qui descendaient en nuages rapaces, surtout au moment des vendanges. Les Hottentots – petite population indigène – venaient aussi de temps à autre marauder les vignobles.
À cause des oiseaux, les vendanges se faisaient trop tôt et la qualité du vin en souffrait. Les premières vendanges produisaient surtout du raisin de table et la majeure partie du vin pour la colonie était toujours importée. La récolte était faite dans de gros cabas. Le raisin ainsi que les pépins et les tiges étaient pressés dans les cuves en bois. Plus tard, au XVIIIe siècle, des pressoirs en bois entraient en usage, mais au début le raisin était pressé à la main ou au pied. On faisait fermenter le jus ainsi obtenu dans des peaux de bœuf suspendues entre quatre poteaux en bois. Le vin qui en résultait contenait beaucoup d’impuretés, même si parfois on le filtrait à l’aide de paniers pour enlever la plupart des peaux, des feuilles et des pépins qu’il contenait. Les premiers vignerons étaient tout à fait inconscients de l’importance de l’hygiène ou de la propreté dans le processus de vinification. Les Burghers exploitèrent ces vins d’essais. Les premiers rapports étaient, pour la plupart, très négatifs voire hostiles. Ceci n’était pas forcément dû à la qualité même du vin. Le vin supportait mal les longs voyages à travers les tropiques. La fragilité de sa structure physique et chimique était facilement troublée par des micro-organismes et par les changements de température et d’humidité, ainsi que par les vibrations des petits navires en bois.
VAN DER STEL – LE MAITRE
Les Vriiburghers avaient grandement besoin d’aide et de conseils. Ils allaient bientôt recevoir des réponses même si l’enthousiasme qui les accompagnait n’était pas toujours sans ambiguïté. Ces conseils provenaient du nouveau commandant, Simon van der Stel. C’était un homme cultivé qui avait beaucoup voyagé et qui connaissait de première main les pays producteurs de vin en Europe. Le Gouverneur Van der Stel a introduit de nouvelles mesures pour améliorer l’agriculture locale, y compris la viticulture. Dans ce cadre, il a établi Groot Constantia, l’un des domaines les plus célèbres et qui existe toujours. Peu après son arrivée en 1679, il a fait une des plus grandes contributions à la structure de la première société au Cap. En revenant d’un voyage d’inspection de la région du Hottentots-Holland, il a quitté la route originale pour explorer une longue vallée verdoyante qui, à son avis, serait une location idéale pour la culture et pour une nouvelle implantation coloniale. Jusqu’alors cette vallée était connue sous le nom de « Wildebosch » (ce qui veut dire forêt sauvage). C’est ainsi que Stellenbosch a vu le jour dans l’esprit de Simon van der Stel, en novembre 1679.
Cette décision, de la part du nouveau Commandant, a créé le centre de l’expansion d’une nouvelle communauté. Une communauté fondée par et pour les colons et les Vrijburghers, et où le vin allait dès le début former un élément principal. Lors de son arrivée au Cap, il a trouvé le produit local « exceptionnellement rude ». Les Vrijburghers ont riposté que le vin ne pouvait pas être amélioré. Van der Stel s’est proposé de prouver qu’ils avaient tort en produisant pour la première fois au Cap, un vin de qualité. Exporté aux Pays-Bas, ce vin a même reçu des réactions favorables. En même temps il a commencé à imposer les débuts d’un système administratif à l’industrie viticole locale. Les cépages qu’il a introduits (ou peut-être réintroduits) comprenaient probablement le muscat de Frontignan. A un niveau plus pratique, il a insisté sur l’importance de ne presser le raisin que quand il était mûr. La coutume de précipiter la vendange pour éviter les oiseaux maraudeurs, donnait au vin une saveur crue. Il a créé une Commission qui avait pour tâche de visiter les vignobles et qui devait constater que le raisin était arrivé à la maturité requise avant les vendanges. Une amende de 60 rixdales était imposable.
L’importance générale de l’hygiène était mise en évidence, surtout pour le traitement des cuves. La clarification des vins se faisait à l’aide de sang de bœuf, d’albumine d’œuf et d’ichtyocolle (un extrait gélatineux de la vessie de l’esturgeon.) La fondation de Stellenbosch constitue certainement le mémorial public le plus célèbre de Van der Stel, mais son souvenir demeure aussi dans une création plus personnelle. Son domaine, Groot Constantia, est toujours l’un des plus beaux monuments du Cap, rappelant une époque d’élégance. Dans ce vallon, à l’ombre du mont Constantia, le Commandant a établi une exploitation agricole qui pouvait servir de modèle. La fraîcheur du vallon se reflétait aussi dans l’attitude imperturbable du gouverneur.
N’ayant pas froid aux yeux, il se faisait attribuer 750 hectares de terre. Comme les employés de la Compagnie n’avaient pas droit à des biens personnels, cet acte était tout à fait illégal. L’année même où le domaine de Constantia était acheté, un événement a eu lieu en Europe qui allait, avec un certain délai, se répercuter sur la constitution de la population du Cap ainsi que sur la qualité de ses vins. En cette année, le roi de France, Louis XIV, a révoqué l’Édit de Nantes qui avait assuré la tolérance religieuse envers les protestants français depuis sa promulgation par Henri IV en 1598. A la suite de ce renversement de leur situation, 200 Huguenots ont quitté la France pour s’établir au Cap entre 1688 et 1690 en passant par la Hollande. Ils étaient travailleurs et possédaient diverses compétences.
La perte de la France était au profit du Cap. Les Huguenots provenaient d’une couche sociale bien différente de celle des Vrijburghers, qui étaient plutôt simples et sans façons. Les Huguenots recevaient facilement les mêmes concessions foncières que celles accordées aux Vrijburghers. Une grande partie des nouveaux colons venaient du Sud de la France et même s’ils n’avaient pas été directement impliqués dans la viticulture, ils en connaissaient les méthodes et les procédures. Les nouveaux venus se sont rapidement intégrés à la communauté existante et, en moins d’une génération, ont changé leur langue pour le hollandais. S’il régnait au début une ambiance de méfiance de la part des agriculteurs établis, toute résistance était bientôt éclipsée par un antagonisme solidaire que les deux parties ressentaient vis-à-vis du nouveau gouverneur de la Colonie. Le successeur de Simon Van der Stel était son fils aîné, Willem Adriaan.
La trajectoire de la carrière de Willem Adriaan est bien connue. La tendance à contourner les règles, déjà présente chez le père, se montrait chez le fils d’une façon excessive. En même temps, l’intelligence et la ressource du père étaient aussi transmises au fils. Willem Adriaan montrait dès le début un intérêt passionné pour les possibilités agricoles et horticoles du pays. L’esprit inquisiteur du scientifique s’ajoutait à la raison rayonnante de l’homme au seuil du XVIlIe siècle et ces éléments donnaient lieu à des expériences agricoles considérables. Ces expériences se faisaient sur le domaine de Vergelegen (une acquisition illégale) dans la région du Hottentots-Holland. Dans son «Gardener’s Almanack», Van der Stel notait, dans l’intérêt de toute la communauté, les soins apportés aux vignes et les progrès qu’elles faisaient.
Ce «calendrier viticole» nous donne un aperçu fascinant des méthodes du viticulteur au dix huitième siècle. En juillet, «le deuxième mois de l’hiver» dans le texte, Van der Stel donne les conseils suivants: «Pour planter des vignes, il faut creuser la terre à trois pieds de profondeur et éliminer les pierres et les mauvaises herbes. Quand les rameaux sont coupés, il faut les lier par cent dans des faisceaux et les enterrer jusqu’à fin septembre ou début octobre. Il faut les planter alors par un temps humide. Ils auront bourgeonné sous la terre mais leurs feuilles tomberont et de nouveaux nœuds se formeront».
Le même mois, il conseille de tailler les vieilles vignes tôt et de remplacer les vieux pieds par des sarments. Les sarments à repiquer doivent avoir une longueur de quatorze à quinze pouces et au moins deux bourgeons au-dessus de la souche. Les meilleurs fragments sont ceux qui ont été bouturés ou détachés de la tige. Il faut les planter régulièrement dans une direction sud-est ou nord-ouest. Lorsqu’une vigne meurt, il ne faut pas la remplacer par une nouvelle plante. Les vieilles vignes, ayant eu possession de la terre, retireraient les aliments de la terre et empêcheraient la croissance de la nouvelle plante. Il faut creuser un trou à un pied de profondeur près d’une vigne, y placer un rameau et le couvrir, ne laissant que quelques pouces découverts. Si des bourgeons se forment, il faut le tailler de la moitié, et près de la vigne mère dans l’année qui suit, et le tailler complètement dans la deuxième année. Il recommande «de nettoyer les plantations en octobre, et si la croissance est trop luxuriante, d’écimer les pousses et de biner la terre. En novembre, il faut s’occuper des vignes et lier les pousses trop longues. » En mars: « La saison des vendanges et de la production du vin».
La récolte de Van der Stel lui-même, était plutôt amère: l’exil. Malgré un début prometteur, il s’est laissé tenter par l’intérêt personnel. Les colons auraient peut-être supporté cet aspect s’il n’était pas accompagné d’un tempérament intolérant et autocrate. La tension augmentait et menait à une révolte ouverte. Ce défi à son autorité a provoqué chez Van der Stel une réaction disproportionnée. Il a fait arrêter les chefs de la révolte et les a mis en prison avant d’envoyer cinq d’entre eux en Hollande de sorte qu’ils soient jugés par le Conseil. C’était une erreur fatale. Van der Stel s’est trompé, non seulement sur le pouvoir des citoyens, mais aussi sur la disposition de ses employeurs. Les pouvoirs du Gouverneur ont été d’abord taillés bien courts, et par la suite il a été relevé de ses fonctions. Obligé de s’exiler en Hollande, il a dû payer le prix de son manque de perspicacité quant à la nature humaine. Le bien que son intelligence et sa vision auraient pu apporter aux méthodes agricoles locales, y compris des techniques relatives à la viticulture, l’a malheureusement accompagné dans son exil. Avec le départ de Van der Stel, les ambitions des serviteurs locaux de la Compagnie des Indes Orientales en ont pris un coup. Le Cap de Bonne Espérance devenait de plus en plus le domaine des Vrijburghers. Ils le contrôlaient et la terre commençait à porter l’empreinte de leur personnalité.
Vers la fin du XVIIIe siècle, les descendants de ces agriculteurs pionniers sont devenus riches et prospères, atteignant une opulence dont leurs ancêtres n’auraient jamais pu rêver. A cette époque le commerce du vin français était gravement atteint par la Révolution française, les guerres napoléoniennes qui l’ont suivie et la série d’incidents militaires entre la France, les Pays-Bas et l’Angleterre. Pour la première fois les viticulteurs du Cap pouvaient trouver un marché et une demande pour leurs produits en dehors de leur propre communauté et des navires de passage. Pour la première fois ils faisaient la connaissance des Anglais dont la capacité à boire allait leur donner un certain plaisir: à cette époque les Anglais consommaient tontes sortes d’alcool avec beaucoup d’enthousiasme. Les Élisabéthains se sont pratiquement noyés dans l’ale crue et le vin blanc sec. La même époque voyait aussi l’arrivée d’un nouveau concurrent: une boisson orientale absurde, qui se préparait avec des feuilles trempées dans de l’eau bouillante. Mais aucun amateur de vin n’aurait pu prendre au sérieux cette concurrence, encore moins penser qu’un empire mondial flotterait bientôt sur de bonnes et vaporeuses vagues de thé!
Vers la fin du XVIIIe siècle, les Anglais buvaient du vin, préférant surtout les vins doux, les porto et les sherry dont le contenu calorifique pouvait bien combattre le froid de l’hiver boréal. Quand, à cause des guerres avec la France, ils n’ont plus pu se procurer du vin français, ils se sont tournés vers le Cap pour leur approvisionnement. La demande anglaise pour le vin du Cap était telle que l’on ne tenait même pas vraiment compte de la qualité du vin. Ce moment de folles dépenses a duré 50 ans. Avec l’argent britannique, les Sud-Africains bâtissaient leurs grands domaines en remplaçant ou en modifiant les demeures simples qui avaient suffit à leurs aïeux. Ils construisaient de superbes manoirs surmontés de pignons hauts et blancs. La subtilité capricieuse des esclaves malais était souvent responsable des lignes ornées et riches. Des deux côtés des pignons, s’étalait du chaume lisse et bien serré. Le bois des châssis et des portes était peint en vert. A l’intérieur, se trouvaient de beaux meubles en bois dur indigène avec des poignées en cuivre poli, toute l’élégance que l’argent peut s’offrir. La terre avait porté ses fruits et pour les agriculteurs c’était une période de succès sans précédent.
A ce moment, l’habitude a vu le jour au Cap de ne pas s’occuper des questions qui se posaient en Europe, bien lointaine, même celles sur les droits de l’homme. Elle ne connaissait rien aux tendances de la philosophie en Europe qui allaient mener à la création d’une vision libérale au XIXe siècle. Elle n’avait ni prophète, ni guide. Sa mémoire s’est perpétuée, non pas dans des livres d’histoire mais plutôt comme conscience de groupe, même à travers les bouleversements des décennies à venir. Parmi les domaines viticoles célèbres qui ont survécu aux outrages du temps, il y en a surtout un qui ressort comme symbole : le domaine historique de Groot Constantia. En 1778, Groot Constantia a connu un changement de propriétaire important. Les Cloete, descendants du sous-jardinier de Yan Riebeeck, ont acheté la propriété pour 60 000 florins. Sous les Cloete, le domaine allait devenir célèbre et, en 1885, le gouvernement colonial l’a acheté pour y établir un centre de formation viticole.
La légende des vins de Constantia s’est créée au milieu d’un cadre politique turbulent. L’empire commercial vaste et décousu de la Compagnie des Indes Orientales était en plein désarroi et les agriculteurs, bien que riches, n’avaient aucune influence politique ou militaire. Ils ont fait l’erreur de prendre pour de la liberté cette absence de pouvoir. Ce vide allait être rempli. En 1780 la guerre était déclarée entre l’Angleterre et la France alliée des Pays-Bas. La garnison française du Cap s’est retirée et dix ans plus tard, en 1795, la première occupation anglaise, qui allait durer sept ans, a suivi l’invasion du Général Clarke et de l’Amiral Elphinstone. Les Anglais étaient des conquérants plutôt désinvoltes.
Après tout, leur occupation du Cap n’avait pour but que de forcer la marine française à se rabattre. Ils observaient les scènes locales avec une certaine curiosité intéressée et pour la première fois ils avaient l’occasion de voir les lieux d’où venait leur vin importé. Lady Anne Barnard, l’épouse du secrétaire auprès du Gouverneur, a fait de façon frappante le récit de ses impressions de l’époque. Elle semble s’être liée d’amitié avec Hendrik Cloete de Groot Constantia et dans ses lettres à Lord Macartney elle en parle souvent. « Monsieur Cloete nous a emmené à la salle où se trouve le pressoir, écrit-elle, et tout le groupe a fait la grimace en pensant qu’on allait boire ce vin qu’on avait vu pressé par ces six pieds noirs; néanmoins je me suis laissée persuader que la fermentation écarterait toute particule polluée. Ce qui m’a le plus impressionnée, c’étaient les silhouettes antiques, continuellement changeantes et continuellement gracieuses des trois formes bronzées et à moitié nues qui dansaient dans le pressoir en marquant avec leurs pieds le rythme d’un instrument qu’eux seuls entendaient.
Dans chacun des quatre pressoirs, il y avait trois esclaves qui pressaient le vin. De grandes quantités de raisin étaient jetées dans le premier pressoir et les esclaves dansaient là-dessus. Le jus qui coulait d’un trou au fond du pressoir était pur et propre. Une douce musique accompagnait cette danse. Lorsqu’on dansait une seconde fois sur le même raisin, il y avait un rythme plus fort et plus rapide. Dans le troisième processus, la pulpe et les peaux des grains sont passées par une passoire. Le jus qui en résultait produisait le vin le plus fort mais Monsieur Cloete mélange les différents types. Selon lui ces aïeux avaient l’habitude de garder les jus séparés et de les vendre à des prix différents. Il trouve cependant que la qualité du vin est améliorée par le mélange».
LE VIN DE CONSTANTIA
Cloete coupait donc ses vins mais il pratiquait aussi d’autres techniques. Il tordait, par exemple, les rameaux de vigne pour réduire l’approvisionnement d’aliments et concentrer de cette manière la saveur et le contenu en sucre du raisin. Le vin qui en résultait avait une qualité riche et sirupeuse. Il établissait des programmes stricts pour les vignobles, les vendanges et la vinification et produisait un vin classique et célèbre dans le monde entier, connu sous le nom «Constantia». Aussi célèbre que fut Constantia, un tiers seulement de la production se trouvait en commerce. L’administration de la Compagnie des Indes Orientales et plus tard leurs successeurs anglais exigeaient qu’un tiers de la production soit mis à part pour le gouvernement du Cap et qu’un deuxième tiers soit envoyé au siège principal administratif – d’abord en Hollande et en Batavia et par la suite en Angleterre. En Europe, ce vin se trouvait dans les cours royales de Russie, de Suède, d’Angleterre, de France et de Prusse. Ils honoraient même pour des occasions spéciales les tables des clients privilégiés aux Indes et au Ceylan, en Australie et en Amérique du Nord.
Le vin de Constantia se faisait apprécier par une liste impressionnante de connaisseurs: Frédéric II, roi de Prusse, l’importait ; Baudelaire en parlait dans Les Fleurs du Mal, Jane Austen en faisait mention. Napoléon, interné à Sainte-Hélène en 1816 insiste pour qu’on lui procure du Constantia et jusqu’à sa mort en 1821, son entourage et lui consommaient la majeure partie de l’allocation du gouvernement ainsi que le tiers vendu par Cloete. Il est évident que les éventualités politiques et économiques jouaient un grand rôle dans la création de cette légende dont les reflets dorés luisent encore de nos jours. Cependant on ne peut douter des talents réels des Cloete, ni de leurs compétences en ce qui concerne les affaires. Ils gardaient méticuleusement les dossiers de tous leurs chiffres d’affaires, lesquels dossiers ont été préservés. Ils avaient aussi du flair pour la publicité. Le goût moderne a laissé derrière lui ce style de vin avec sa riche saveur et son contenu très élevé en sucre – environ 260g par litre – ce qui serait inacceptable aujourd’hui. Récemment, on a rapporté d’Angleterre quelques bouteilles retrouvées après presque deux siècles, ceux qui avaient le privilège d’y goûter l’acclamaient à l’unanimité.
PROSPERITE ET FIASCO
La première occupation britannique a pris fin en 1802. La République Batave, qui a pris la suite, n’a pas duré plus de quatre ans. Elle n’a constitué qu’un bref intermède d’indépendance avant le retour, cette fois définitif, des Anglais. Pendant que les guerres continuaient en Europe, les agriculteurs du Cap pouvaient compter sur une source sûre de revenus. Ils allaient bientôt perdre leur marché anglais. A Trafalgar, la puissance navale de la France s’est brisée, la campagne de Russie a anéanti l’année et Waterloo a mis fin à l’époque Napoléon. Un demi siècle de guerres tirait à sa fin, et le commerce du vin devait également changer d’orientation.
Les viticulteurs se voyaient progressivement isolés et il suivait une période de rigueur sur le plan économique. La fin des guerres napoléoniennes signalait aussi un rétablissement du commerce du vin entre la France et l’Angleterre. Les viticulteurs du Cap n’avaient plus de marché en dehors de leur pays. Les nouveaux gouverneurs acceptaient la responsabilité et ils essayaient de protéger les agriculteurs. En même temps ils essayaient d’établir des mesures pour contrôler la qualité de la production vinicole locale.
«Cette colonie peut produire d’excellents vins de toutes sortes, aussi variés que n’importe quel autre pays du monde.» Tel était l’avis de Sir John Cradock, le nouveau gouverneur de la Colonie du Cap. En 1811, il a publié une proclamation qui devait encourager les agriculteurs à améliorer leurs méthodes et à produire du vin de qualité pour l’exportation, principalement vers l’Angleterre. Il n’était pas le seul à reconnaître les possibilités pour la viticulture et le commerce du vin au Cap. L’Anglais Cyrus Redding était un des premiers écrivains à se spécialiser dans la description de ce vin. Il décrivait Groot Constantia et Klein Constantia comme étant «[ … les plus beaux vignobles du monde» dans son livre L’Histoire et la description des vins modernes (publié en 1851). Il poursuit en disant qu’ «[ … il n’existe aucune colonie possédant une terre plus convenable où de meilleurs vins puissent être produits».
L’enthousiasme du Gouverneur Cradock a trouvé un soutien précis en Angleterre. Pour permettre aux viticulteurs du Cap de concurrencer les pays européens pour lesquels le transport coûtait bien moins cher, l’Angleterre a baissé les tarifs d’importation pour les vins provenant du Cap. Entre 1812 et 1825, le Cap détenait 14 pour-cent du marché anglais du vin. Les viticulteurs connaissaient une période de prospérité pendant laquelle ils pouvaient vivre comme une aristocratie terrienne. C’était une prospérité brève. Pendant l’été de 1825, au moment où la récolte énorme de 1824 commençait à arriver en Angleterre, le climat du Cap tournait mal pour les viticulteurs. La récolte était gâchée et ce n’était que le début d’un déclin qui allait se développer en intensité et en gravité pendant le siècle à venir. En même temps le gouvernement colonial d’Angleterre commençait à réduire la protection économique accordée à l’industrie viticole du Cap. En 1862, tous les pays qui exploitaient du vin en Angleterre devaient payer des droits d’importation d’un shilling le gallon. Les viticulteurs français et ceux du Cap payaient donc les mêmes taxes mais les frais de transport étaient moins chers pour les Français et le vin, qui devait voyager sur de plus courtes distances et arrivait dans un meilleur état.
Déjà en 1859, l’arrivée dans les vignobles du Cap du mildiou avait posé de gros problèmes. La production totale sur une année s’était vue réduite d’un million de gallons à 30 000 gallons. La maladie était bientôt éradiquée mais en 1886 les dégâts causés par le phylloxéra vastatrix étaient même plus grands. Selon l’exemple européen, les viticulteurs ont replanté leurs vignobles en greffant sur des souches américaines résistantes au phylloxéra. La situation s’améliorait quand la guerre éclata entre les Boers et l’Angleterre à la fin du siècle. Coupés de leurs marchés d’exportation, les agriculteurs ne pouvaient pas se débarrasser des grandes quantités de vin que leurs vignes greffées étaient alors capables de produire. Après la fin de la guerre Anglo-Boer en 1902 et jusqu’à 1918, le gouvernement du Cap essayait à plusieurs reprises de ranimer la prospérité de la viticulture. En 1905 et en 1906 le gouvernement a subventionné des groupes de viticulteurs afin de les aider à maintenir la production du vin
pendant cette période difficile. L’initiative était à la base de la formation de coopératives viticoles qui jouent encore aujourd’hui un grand rôle. Des périodes de prospérité et de fiasco se succédaient. Quand tout allait bien, les réserves de raisin étaient relativement petites et les prix étaient bons. A d’autres moments, la plantation supplémentaire de vignobles a eu comme conséquence la surproduction qui a conduit un grand nombre d’agriculteurs à la faillite.
LA CREATION DU MOUVEMENT COOPERATIF
Ces institutions qui caractérisent la viticulture moderne étaient créées pour répondre à cette situation de surproduction et les baisses des prix qui l’accompagnaient. La plupart des coopératives étaient (et sont encore) dirigées par des comités dont les membres sont élus parmi les viticulteurs qui livrent du raisin à la coopérative en question. Le président du comité était souvent le viticulteur qui aurait « vendu » une parcelle de terre pour la construction des bâtiments de la coopérative. La surproduction continua et causa de nouveau une baisse des prix. Les difficultés de l’époque étaient quelque peu allégées, trait curieux, par la forte popularité inattendue des plumes d’autruche. Entre 1906 et 1913, les plumes d’autruche étaient très en vogue en Europe et on les payait très, très chères. Pendant cette période, 10 millions de pieds de vigne étaient arrachés dans la seule région de Oudtshoorn pour faire de la place aux champs de luzerne qui servaient de fourrage à ces oiseaux. Mais le boom a pris fin en 1913. Les voitures à chevaux mettaient en valeur l’agitation de plumes par une brise légère, mais celte même agitation devenait déroutante et peu pratique dans une automobile. Ainsi, l’arrivée de l’automobile a contribué à l’effondrement du marché des plumes. Les autruches se sont retirées d’Oudshoorn et la plupart des agriculteurs se sont remis à planter des vignes. Ils en ont planté beaucoup trop.
En 1918, il Y avait presque 87 millions de pieds de vigne dans la région et une production annuelle de 56 millions de litres de vin. Non vendables et non vendus, des millions de litres de vin se sont perdus inutilement. En même temps, il devenait de plus en plus évident que tous les viticulteurs devaient appartenir au mouvement coopératif pour que celui-ci soit efficace. Tel était l’avis de Charles W. H. Kohler et cette idée a porté ses fruits en 1918 avec la fondation de la« Kooperatiewe Wijnbouwers Vereniging van Zuid-Afrika, Beperkt ». Ce long titre est mieux connu sous son abréviation, K.W.V. (Union des Coopératives Vinicoles). Cette organisation allait changer la structure de la viticulture en y conférant une nouvelle unité, le pouvoir de négocier avec les marchands de vin ainsi que des mécanismes administratifs qui ont fourni la base du système actuel. Le gouvernement Smuts a ratifié les pouvoirs de la KWV en promulguant la Loi 5 de 1924 sur le contrôle du vin et des alcools. Cette loi autorisait la KWV à fixer annuellement un prix minimum pour le produit des viticulteurs. C’était le début d’un processus progressif qui avait pour but la protection légale et le contrôle de l’industrie viticole. Cet instrument régulateur allait se développer au cours des décennies à venir pour couvrir un vaste champ d’activités.
Les développements sur le plan de la « viticulture scientifique» ont suivi les découvertes de Pasteur en Afrique du Sud. En 1925 à Welgevallen, la ferme expérimentale de l’Université de Stellenbosch, il s’est passé un événement dont l’importance allait être sous-estimée pendant des années. Le célèbre œnologue, Izak Perold a réussi à faire pousser les premiers semis de «Pinotage». C’était le premier matériel viticole local résultant du croisement de Pinot Noir et de Cinsaut. Plus tard C.J. Theron a poursuivi ses recherches en sélectionnant les semis de Perold et en bien évaluant la stabilité et la valeur de ce nouveau matériel génétique. Vingt ans plus tard, sous le nom de Pinotage, ce cépage a fait sa renommée comme le premier développé en Afrique du Sud et qui s’adaptait parfaitement aux conditions locales tout en possédant des caractères qui lui étaient propres. En 1935, une nouvelle société vitivinicole a été fondée, c’était le Stellenbosch Fallners’ Winely, l’idée personnelle d’un immigré américain, William Charles Winshaw. Ayant reçu une formation en médecine, Winshaw est arrivé au Cap en 1899 avec un envoi de mules qui avait été commandées par le gouvernement du Cap.
D’une personnalité vive et impressionnante – il avait connu Buffalo Bill – il décide de s’établir en Afrique du Sud et il quitte la médecine pour se lancer dans la viticulture. Il s’unit à Gabriel Krige dont le père avait acheté en 1870 une partie de la ferme historique de Libelias. Winshaw et Krige appellent la propriété Oude Libelias et ils commencent à produire et à vendre du vin. Le goût local de l’époque était plutôt le cognac et les vins doux fortifiés. Winshaw, en médecin, jugeait cependant que le vin naturel de table était meilleur pour la santé publique et il se concentra d’emblée sur ce type de vin, son « Château Libertas » et « La Gratitude» servant de bons exemples. Malgré le développement des vins naturels de table ainsi que l’amélioration de la qualité, les marchés étrangers restaient pour la plupart fermés au vin sud-africain. Seuls les « vins fortifiés » sud-africains se vendaient bien sur le marché anglais. En 1940, une nouvelle législation a augmenté les pouvoirs de la KWV et a posé la base du système d’un contrôle très strict. La KWV contrôlerait désormais la production et la commercialisation du vin de qualité. Un prix minimum était fixé pour le vin de qualité; la KWV devait sanctionner toute transaction entre marchands et producteurs; toute grande opération commerciale se faisait par l’intermédiaire de cette organisation.
LES CHANGEMENTS EN AFRIQUE DU SUD
La fin de la Deuxième Guerre Mondiale a forcé une pause dans l’histoire du monde, et aussi dans l’histoire de l’Afrique du Sud. A partir de 1948, un nombre de changements importants allaient se faire dans les rapports intérieurs et extérieurs du pays. L’industrie viticole traversait aussi une période de grands changements. Ces développements se produisaient grâce à des progrès technologiques. La plus importante de ces avancées est sans doute la technique d processus de «fermentation froide» pour les vins blancs. La période d’après guerre s’est caractérisée par de nouvelles expériences. Les plus importantes de ces expériences étaient faites par la famille Graue, père et fils, des immigrés allemands. Ils ont établi ce processus de vinification à grande échelle sur leur domaine de Nederburg dans la vallée de Paarl. Ce processus permettait un contrôle précis dans la production d’un vin blanc naturel par un climat chaud. Cette expansion a porté beaucoup d’équipements et de méthodes nouvelles. Pendant la période qui suivait la Deuxième Guerre Mondiale, l’influence des producteurs grossistes a augmenté au même rythme que l’expansion du rôle de la KWV et d’autres coopératives. Parmi ces «grossistes» se trouvait le Stellenbosch Farmers’ Winery, mais ce n’était pas le seul.
Malgré les contrôles exercés, le vieux problème de surproduction est remonté à la surface de nouveau dans les années 50. Ceci a mené à l’introduction du système de quotas qui limite par voie légale la masse de raisin qu’un viticulteur a le droit de produire. Des augmentations des quotas se sont faites au cours des années, toutefois, cette approche a aidé de facto l’orientation vers une politique de basse production à l’hectare. Le cépage planté ou le type de vin fabriqué n’était pas contrôlé. Il était accepté que le viticulteur plante et produise le type de vin pour lequel il y avait la plus grande demande ou qu’il voulait produire. L’engagement d’acheter le vin livré par les viticulteurs et la nécessité de le vendre forçaient la KWV à chercher et à développer des marchés d’exportation. Même pendant toutes les années d’isolation économique de l’Afrique du Sud, la KWV a continué à vendre de petites quantités de produits de marque ainsi que de grandes réserves (hors d’âge) de vin et d’alcool en vrac.
LES ANNEES 60 A 90
Pendant trente ans, l’industrie viticole en Afrique du Sud a vu beaucoup de développements. Après de longues années de sélection patiente, le premier Pinotage de très grande qualité était produit en 1959 par les Morkel du domaine Bellevue. La même année a vu la mise au marché de « Lieberstein » par le Stellenbosch Farmers’ Winery. A l’époque c’était le vin en bouteille le plus vendu du monde: 32 millions de litres en 1964. Au début des années 70, une des innovations les plus populaires de l’histoire récente de la viticulture a vu le jour. Il s’agissait de l’ouverture de la route des vins de Stellenbosch en avril 1971. Aujourd’hui, cette route couvre 27 domaines – privés ainsi que coopératifs – et comprend des caves de dégustation, des restaurants et d’autres attraits. Ce projet était lancé par trois viticulteurs locaux qui l’avaient basé sur les routes du vins que l’on trouve en Europe – les Routes du Vin en France et les Weinstrassen d’Allemagne. A la fin des années 70, la région de Paarl a inauguré sa propre route du vin.
Un événement important avait lieu en 1973. En septembre de cette année la législation relative à l’AOC (appellation d’origine contrôlée) était consolidée et introduite sous un nouvel aspect législatif. Ainsi, un des aspects les plus importants des rapports entre le vin et le terroir a trouvé une base légale. Basée sur des systèmes européens consacrés par l’usage, cette législation donnait aussi aux viticulteurs locaux un système de référence par rapport aux marchés étrangers. Ce système a également donné lieu à la division géographique actuelle en régions d’appellation d’origine officiellement bien définies. Cette division compte des régions historiquement bien établies telles que Constantia, Durbanville, Stellenbosch, Paarl, la vallée de Tulbach et les régions de Worcester, Robertson et le Breede River mais les régions qui ont été établies plus récemment y figurent aussi, comme celles de l’Orange et du Vaal.
LA SITUATION ACTUELLE
Le changement politique que l’Afrique du Sud a connu au début des années 90 était à la base d’une certaine évolution dans le domaine de la viticulture. Comparés à d’autres pays viticoles, les vignobles du Cap sont étendus et un grand nombre de domaines comportent plus de 100 hectares. La croissance rapide du commerce d’exportation a occasionné de nouveaux rapports dynamiques dans cette industrie qui était longtemps assez rigide voire immobile. Des caves sont construites, soit pour servir l’agrandissement des exploitations existantes, soit dans le cadre de nouvelles entreprises. Les technologies de vinification les plus récentes sont mises en pratique et des investissements importants, souvent initiés par des investisseurs étrangers sont en train de changer l’apparence et la structure de cette industrie.
REMERCIEMENTS
Je voudrais remercier Madame M.M. Vanjaasveld pour son aide bibliographique de cette présentation.
Bibliographie
- Joelson Annette, 1945. The memories of Kohler of the K. W. V. Hurste Blackett (London), 128 pp.
- De Jongh, F.; 1981. Encyclopaedia of South An·ican Wine, Second Edition. Butterworths, Durban, Pretoria.
- Kench, J.; /-lands, P.; Hughes, D.; 1983. The Complete Book of South African Wine. Stl1lik Publishers, Cape Town, RSA.
- KWV (Pry) Limited Website: wlVw.kwv.co.za
- Proust, A.; Knox, G.; 1997. Cape Wines, Body & Soul. Fernwood Press, Vlaeberg.
- Robinson, J. 1994. The Oxford Companion to Wine. Oxford University Press, Oxford, New York.
- South African Wine Directory Website: WWIV. wine.co.za
- The Oenological and Viticultural Research Institute, Stellenbosch, Viticulture in South An·ica, Standard Press Lld., Cape Town.