« Mes expériences personnelles dans la maison familiale « Pio Cesare »
Ma région, le Piémont, a toujours été connue pour ses grands vins rouges, obtenus par des cépages autochtones (surtout le Nebbiolo, le Barbera et le Dolcetto). Déjà Plinius, l’écrivain historique Romain du 1er siècle, citait les vins du Piémont comme étant des vins de qualité. Vers la fin du siècle dernier, mon arrière-grand-père fondait la maison qui porte encore son nom. Mon arrière-grand-père était amoureux de nos collines et de ce qu’on y produisait. Cet amour le conduisit à fonder la maison familiale pour produire du Barolo et du Barbaresco de qualité, les mettre en bouteilles et les faire apprécier par les connaisseurs. A cette époque, en 1881, le vin était vendu surtout en vrac, et le nombre de maisons qui vinifiaient et mettaient en bouteilles avec leurs propres étiquettes était limité. Pour cela le choix de mon arrière-grand-père fut courageux et difficile en même temps.
Il avait sélectionné les vignobles et les vignerons qui allaient nous fournir (plusieurs familles fournissent notre maison encore aujourd’hui). Il suivait le travail dans leurs vignobles, et ce dès la taille, pour être sur d’avoir des raisins de grande qualité. Il a su établir des rapports d’une telle confiance que les prix des raisins étaient fixés à la fin de la vendange pour garantir le meilleur prix en rapport de la qualité. Chez nous, comme souvent ailleurs, chaque colline donne des caractères différents aux vins de même cépage. Mon arrière-grand-père rassemblait les raisins de même cépage dans différents vignobles: l’un choisi pour le bouquet, l’autre pour le corps, un autre pour la souplesse et la finesse, un autre encore pour la possibilité de vieillissement. Le résultat était un Barolo de qualité et identifiable, avec le «style Pio Cesare», qui sera celui qui assurera le succès à notre maison, qui fut une des premières à exporter les grands rouges du Piémont.
En plus du Barolo et du Barbaresco, il produisait la gamme des grands vins rouges d’Alba, le Nebbiolo d’Alba, le Barbera et le Dolcetto. Sur nos collines, depuis toujours, au sommet, face sud et sud ouest, on plante le Nebbiolo, tandis que face sud-est et au centre, ces sont les Barbera et Dolcetto. Mon grand-père et mon père ont suivi la route choisie par mon arrière-grand-père en maintenant la qualité continuera à être la caractéristique de la maison. Et tout cela malgré une concurrence de plus en plus acharnée: les maisons qui faisaient la mise en bouteilles avec leurs propres étiquettes se multipliaient. Quand j’ai pris la suite en 1973, j’ai reçu un héritage de qualité et d’image fort bien établi, mais en même temps, un engagement qui était mon défi personnel.
Il faut bien dire qu’au début des années 70, plusieurs nouveaux jeunes viticulteurs s’ajoutèrent aux anciens tout en produisant du Bon Barolo et Babaresco ; notre confrère Elio Altare étant le drapeau de cette nouvelle vague. En même temps, prenait de plus en plus place la notion de crus, c’est à dire la mention du vignoble sur l’étiquette. A mon tour, je suis resté fidèle à la tradition de la maison Pio Cesare, en produisant un Barolo dont les qualités provenaient de différents vignobles; en même temps et c’était une des plus importantes innovations que j’ai créé dans notre famille, j’ai décidé de racheter des vignobles dans des positions très favorables pour produire aussi mes crus (le Bariolo Ornato, le Barbaresco, le Bricco, le Barbera Fides). Ces vins maintiennent un peu le style de notre maison, mais particulièrement exaltent les caractéristiques typiques du terroir des vignobles de provenance.
J’étais convaincu que l’avenir pour nos vins était de plus en plus lié à la viticulture, les techniques de la cave étant insuffisantes pour atteindre le meilleur niveau de qualité. En effet, comme vous le savez bien, le contrôle du vignoble est devenu l’aspect le plus important de notre métier; on peut réduire les rendements à notre plaisir, on peut étudier et choisir les différents clones, la façon de tailler, on peut mieux contrôler la quantité des raisins et les réduire quelques fois aussi drastiquement, on connaît mieux les différentes techniques pour déterminer la date de la récolte (pas seulement la quantité de sucre). A l’époque, je n’étais absolument pas satisfait par les vins blancs de ma région (qui d’ailleurs n’ont jamais joui d’une grande réputation) et mon rêve était de produire un vin blanc qui puisse avoir la couleur du vin blanc et le bouquet du cépage d’origine, mais en même temps, qui puisse hériter du terroir, l’âme de nos grands vins rouges.
Pour cela j’ai choisi le cépage Chardonnay et j’ai crée en 1981, une vigne au cœur des vignobles de propriété de notre famille dans le Barbaresco. Mon cru de Chardonnay s’appelle Piodelei, et à chaque fois que je le goutte je suis fort heureux de mon choix. Maintenant notre production moyenne est de 300 000 bouteilles (Barolo, Barbaresco, Barbera, Dolcetto et Chardonnay) dont 70% sont exportés. Les raisins proviennent de vignobles de propriété (environ 35 hectares) et le reste est acheté aux fournisseurs habituels, presque « historiques », puisque ce sont des familles qui fournissaient déjà mon arrière-grand-père. Pour terminer, en un mot, je me sens un conservateur lié aux meilleures traditions et en même temps, un innovateur, audacieux, qui ne refuse pas les nouveautés pourvu qu’elles puissent améliorer la qualité de ses vins, sans nuire à la typicité de ses cépages.