Il est difficile d’imaginer à quel point la situation des vins de Bordeaux était désastreuse à la naissance de Jean-Michel en 1935. Sa formation et ses premiers pas dans le monde des affaires l’orientaient vers l’informatique ou vers l’assurance, l’affaire familiale. Jean-Michel n’est pas né avec une pipette dans la bouche.

Il étudie un temps en Angleterre pour améliorer son anglais, puis à Paris, à la prestigieuse École des Mines et à l’Université d’Austin, Texas, où il bénéficie d’une bourse du Rotary Club. Pour rembourser sa dette, on lui a demandé de prendre la parole lors de leurs réunions, ce qui a perfectionné ses compétences en tant que conférencier. Et quel orateur il était. En sa compagnie, on est emporté par un tsunami d’enthousiasme, de curiosité et de culture ; totalement différent de l’impression donnaient par la plupart des propriétaires bordelais à ce temps.

En 1962, de retour à Paris, il joint IBM où il embrasse avec beaucoup d’ambition le monde de l’informatique mais aussi, dès son premier salaire, le monde du vin et l’art du bien vivre. Lorsqu’en 1971, lui, sa femme portugaise Theresa et leurs quatre enfants décidèrent de s’installer à Pauillac pour reprendre la direction de Château Lynch Bages, son père le crut fou de vouloir venir dans un coin aussi reculé que Pauillac.

Il ne perd pas son temps : Tel un phénix, Lynch Bages et Pauillac se relèvent de la décrépitude et de la pauvreté qui régnaient partout. Pauillac abrite aujourd’hui un Relais & Château Hôtel, un village d’artisans et un bistrot où tous les habitants et visiteurs du Médoc se retrouvent pour des bavardages gourmands. Jean-Michel était « Tout, partout, tout à la fois » pour citer le titre du film oscarisé cette année

Son esprit cosmopolite et sa curiosité l’ont conduit vers des horizons tels que les États-Unis, où il est devenu un ambassadeur de Bordeaux avec ses copains Jean-Eugene Borie et Bruno Prats , et la Chine, où il a été l’un des premiers pionniers, avant l’ouverture du marché. Lorsqu’AXA, le géant français de l’assurance, a créé AXA Millésime, Jean-Michel (dont l’entreprise familiale était plus un agent d’assurance que des propriétaires de châteaux) a dirigé le projet, en commençant par l’achat du Château Pichon-Baron en 1987, en ajoutant Petit-Villages à Pomerol, Suidiraut à Sauternes, ainsi que Quinta do Noval dans le Douro au Portugal et Disznoko à Tokaj en Hongrie.

Il a créé une société de négoce, une entreprise de « faire son propre vin avec sa propre étiquette », a noué des coentreprises à travers le monde, notamment avec Brian Croser en Australie, a dirigé la Commanderie de Bordeaux, a financé le départ du Marathon du Médoc – la liste de tous ses projets est épuisante à contempler.

Après avoir passé le relais de la direction des Domaines Cazes à son fils Jean Charles en 2006, il s’installe dans un bureau donnant sur la place au centre du village de Bages, où il rédige ses mémoires « Bordeaux Grands Crus : La Reconquête » et continue de correspondre

avec ses amis du monde entier entouré de ses livres et de ses souvenirs (dont un dinosaure, une batte de baseball, un sabre de samouraï japonais et les photos des nombreuses Ban des Vendanges et Fête de la Fleur qu’il a organisées).

Jean-Michel était un homme très humble, toujours curieux, amusant et généreux. Il a aidé et encouragé une myriade de jeunes à se lancer dans le monde du vin. J’étais de ceux-là puisque j’ai rencontré Jean-Michel lorsque j’ai commencé à travailler chez Château & Estates à New York en 1986. Depuis, il a toujours été là pour me conseiller, me présenter et s’est chargé de ma vie future à Bordeaux.

Je n’étais qu’une des nombreuses personnes touchées par la chaleur, l’intelligence et la portée mondiale de Jean-Michel. Durant les derniers mois de sa vie, j’allais à Pauillac lui lire des extraits de la biographie d’Ab Simon (Ab était le président de Château & Estates). Il me coupait constamment la parole avec des souvenirs et des anecdotes, toujours enthousiaste, toujours intéressé, toujours intéressant. Il a marqué ma vie pour toujours et je suis très reconnaissante de l’avoir appelé mon ami. Je sais d’ailleurs que vous êtes nombreux dans cette salle à partager le même sentiment.

Adieu notre ami

Fiona Morrison M.W.

Version Anglaise :

Jean-Michel Cazes: Une Appréciation d’Une Vie bien vécu pour l’Académie Internationale du Vin : Lausanne Nov 2023

It is hard to imagine how dire the state of Bordeaux wines was when Jean-Michel was born in 1935

He went to school for a time in England to improve his English, then onto Paris to the prestigious Ecole des Mines and the University of Austin, Texas where he had been given a bursary from the Rotary Club. To repay the debt he was asked to speak at their gatherings which honed his skills as a social speaker. And what a speaker he was. In his company one was swept up by a tsunami of enthusiasm, curiousity, culture and wine which was irresistible and totally different from the impression most Bordeaux châteaux owners made at that time.

In 1962 he joined IBM where he embraced with great curiosity the world of computers but also, drawing his first salary, about the world of wine and the art of bien vivre. When in 1971 he and his Portuguese wife Theresa decided to move to Pauillac to take over the running of Lynch Bages his father thought he was mad to want to come to such a backwater as Pauillac.

When he took over the helm at Château Lynch Bages, he did not waste his time: Like a phoenix, Lynch Bages and Pauillac rose from the dilapidation and disregard that reigned everywhere. Today Pauillac boasts a Relais & Chateau Hotel, a village of artisans and a bistrot which is where everyone meets in the Médoc for a gourmet gossip. Jean-Michel was “Everything Everywhere All at Once » to quote the title of the Oscar winning film.

His cosmopolitan outlook and curiousity led him to horizons such as the US, where he became Bordeaux’s unofficial ambassador, and to China, where he was an early pioneer in the 1990s, before the market opened. When AXA, the French insurance giant, formed AXA Millesime, Jean-Michel (whose family business was more insurance agent than chateau owners) led the project, starting with the purchase of Château Pichon-Baron in 1987, adding Petit-Villages in Pomerol, Suidiraut in Sauternes, as well as Quinta do Noval in Portugal’s Douro and Disznoko in Hungary’s Tokaj.

He started a négociant company, a custom “make your own wine with your own label” business, forged joint ventures throughout the world including with Brian Croser in Australia, was head of the Commanderie de Bordeaux, financed the start of the Médoc Marathon – the list of all his projects is exhausting to contemplate.

Having passed the baton of running the Domaines Cazes to his son, Jean Charles in 2006, he moved into an office overlooking the square in the centre of the village of Bages, where he wrote his memoirs “Bordeaux Grands Crus: La Reconquête” and continued to correspond with his friends around the world surrounded by his books, his momentos (including a

dinosaur, a baseball bat, a Japanese Samurai sword and photos of the many Ban des Vendanges and Fête des Fleurs that he organised.

Jean-Michel was a very humble, persistently curious, fun and generous man. He helped and encouraged a myriad of young people get their start in the wine business. I was one of them, having met Jean-Michel when I started working for Château & Estates in New York in 1986. Since then, he was always there to give me advice and introductions and was responsible for my move to Bordeaux.

I was just one of many people who were touched by the warmth, the intelligence, and the global reach of Jean-Michel. During the last few months of his life, I would go to Pauillac to read him extraits from Ab Simon’s biography (Ab was the President of Château & Estates). He would interrupt me constantly with reminisces and souvenirs, always eager, always interested, always interesting. He touched my life forever and I am so grateful to have called him my friend. I know that there are many of you in this room that share the same sentiment.

Fiona Morrison M.W.

30 novembre 2023